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Critique de berni_29


L'histoire est toute simple, elle a la saveur d'un conte ancien, transmis de génération en génération. Pourtant le récit se passe un peu avant la seconde guerre mondiale.
Nous sommes dans un village adossé à la montagne, précisément dans un hameau du valais suisse. Ici les habitants sont habitués à voir le soleil disparaître derrière les crêtes, à compter d'octobre pour ne reparaître qu'en avril. C'est une absence de l'astre solaire durant près de six mois mais à laquelle les habitants de la montagne sont habitués. Cette disparition, puis réapparition, rythment ainsi le temps qui passe et la vie pastorale dans cette vallée des Alpes suisses depuis des lustres, que dis-je, depuis des millénaires.
Il faut dire que, pour eux, chaque année, vers le 25 octobre, le soleil se montre pour la dernière fois, s'éteignant comme une traînée de feu et il ne reparaît pour eux que le 13 avril, surgissant comme une étincelle prête à embraser le ciel encore pâle. Entre ces deux dates, la vie pour autant ne s'arrête pas, elle est simplement différente, plus lente.
Cet hiver-là, Anzevui, le vieux guérisseur, un peu sorcier, un peu sage, un peu fou aussi, consulte un vieux livre, puis se met à faire des calculs savants, griffonnant des pages de chiffres. Il n'y a aucun doute selon lui. Il annonce alors à la cantonade que le soleil s'éteindra au printemps. Plus précisément, alors que le 13 avril de chaque année le soleil s'apprête normalement à revenir, c'est bien ce jour-là qui scellera sa disparition définitive, en ne se hissant pas comme les autres années, sur la cime des crêtes. La prédiction du vieux guérisseur s'accompagne aussi d'une autre mauvaise nouvelle : sa propre mort qui viendra ce jour-là...
Les signes sont là d'ailleurs. La guerre est toute proche qui s'apprête à embraser le monde. Et si justement le soleil en profitait pour se faire la belle, pour ne plus jamais revenir... Et si Anzevui avait raison ?
La menace de ce cataclysme est comme une déflagration. Elle va alors bouleverser la petite communauté et le comportement de ses membres. Chacun y va de sa petite musique. Certains cèdent à la panique, d'autres font des réserves, hé hé ! ça ne vous rappelle rien, et les plus jeunes se moquent du vieux guérisseur et de la superstition des plus anciens.
Et si le soleil ne revenait pas... Chacun lance cette sentence et brode à sa manière sa représentation de ce que pourrait être l'existence qui devient brusquement et définitivement obscure à jamais. Autant dire que la vie ne durerait pas très longtemps...
Chacun s'exprime sur le sujet, même la belle et sensuelle Isabelle, qui elle aussi a bien une idée derrière la tête, - si toutefois il faut parler de la tête à cet endroit, oui elle a bien une idée de ce qu'elle ferait avec Augustin son mari, si le soleil ne revenait pas...
Ah ! Comme j'ai aimé ce personnage attachant qui est peut être un astre incandescent à elle seule, traversant l'histoire de ce village, de cette communauté pastorale, de ses certitudes et de ses croyances, se dressant contre la fatalité des choses dans ce désastre annoncé !
Il est vrai qu'on a là à portée du regard, dans ce microcosme ramassé comme dans un huis-clos montagnard, toute la palette du genre humain que la menace d'un événement qui leur échappe va exacerber dans les traits de caractère et les comportements de chacun.
J'ai retrouvé avec jubilation l'écriture de Charles Ferdinand Ramuz, sa manière de raconter un récit, son phrasé inégalable, empli de fraîcheur et de poésie. Tour à tour, le récit, d'une richesse incroyable, visite tous les styles sans forcément s'enfermer dans un seul : fable métaphysique, conte onirique, récit effleurant le fantastique, chronique pastorale... Ce soleil qui menace de ne plus revenir, n'est-ce pas aussi un thème qui vient chatouiller notre imaginaire actuel ?
Il y a aussi une tension palpable comme un compte à rebours jusqu'à la dernière page, jusqu'au dénouement et on se laisse emporter par les pages du récit qui nous happe, pris dans la farandole des personnages, pris dans la nasse d'un texte qui sème en nous le trouble, le doute et l'enchantement aussi...
Et vous, si le soleil ne revenait pas, que feriez-vous donc ?
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