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Critique de Nastasia-B


J'ai pris un franc et généreux plaisir à lire ce livre. J'avais prévu d'en faire la critique mercredi mais je n'ai pas pu. Hier non plus. J'étais trop triste, trop effondrée pour écrire quoi que ce soit qui ait encore un lien avec la littérature et le plaisir qu'elle suscite.

Mais aujourd'hui il faut, il faut lever haut nos crayons, même virtuels, pour nous exprimer librement, et pour célébrer ceux qui osent, malgré la dictature ordinaire, dire des choses, des choses profondes, des choses universelles.

Valentin Raspoutine est un auteur russe qui a écrit la plus grande partie de ses romans en plein communisme dans une URSS pieds et poings liés, ligotée dans sa liberté d'expression. Dans ce pays alors, le simple fait d'écrire un roman était jugé suspect. Chaque ligne y était soigneusement lue et relue par les organes du parti avant publication et/ou incarcération de l'écrivain en question, si sa ligne de pensée ne convenait pas.

Ce n'est donc pas, fatalement, un écrit politique, une dénonciation frontale du système, mais c'est très sociologique, c'est une immersion dans cette société avec les contraintes qui la liait à cette époque. le résultat en est admirable.

Raspoutine, effectivement, vu de chez nous, cela n'a rien de très engageant, mais sachez qu'en Russie centrale, tout comme à la SNCF, un Raspoutine peut en cacher un autre.

Ici, Valentin Raspoutine nous transporte dans un kolkhoze, c'est-à-dire une coopérative agricole, c'est-à-dire aussi une sorte de village où personne ne travaille pour son propre compte et où tout tourne autour de la gestion d'État.

On nous y montre un couple sans histoire, constitué de Maria et de Kouzma, qui doivent avoir dans les 45-50 ans, et qui sont les parents de quatre enfants. Ayant quelques pépins de santé, Maria ne pouvant plus trop, provisoirement, travailler au kolkhoze, se voit proposer de tenir le magasin d'État. Ce n'est pas une place très enviée car elle peut attirer des ennuis et Maria, qui n'a que peu ou pas d'instruction, sent bien tous les problèmes qu'un tel poste pourrait lui attirer.

Au départ, c'est pour dépanner pendant deux ou trois mois puis, étant particulièrement appréciée des villageois, Maria est confirmée dans sa fonction de tenancière du magasin. Un an et demi plus tard, elle jouit d'une grande popularité au village mais est toujours aussi inquiète quant aux impératifs de gestion.

À sa demande, il y a donc un contrôleur qui passe vérifier ses comptes et… ô surprise !… il manque 1000 roubles à l'inventaire. Replaçons-nous dans le contexte de la fin des années 1960 (le livre a paru en 1967), 1000 roubles devaient représenter pour eux quelque chose comme 100 000 de nos euros actuels.

Stupeur dans le foyer car Maria et Kouzma n'ont jamais piqué dans la caisse et vivent chichement. Maria est effondrée et n'est qu'un personnage, finalement, très secondaire du roman. Tout va tourner autour de Kouzma qui interroge le contrôleur et demande comment cela est possible. Il veut bien comprendre qu'une négligence par ci, une négligence par là produisent un trou de 30 ou 40 roubles (3000 à 4000 €) mais 1000 roubles !?

Conciliant, le contrôleur leur dit qu'il doit encore effectuer plusieurs inspections plus à l'est et qu'il sera de retour dans cinq jours. À cette date, si les 1000 roubles sont de retour, il effacera tout de son registre. Vous comprenez donc je pense un peu mieux le titre du roman.

Kouzma va alors se lancer auprès des villageois dans une odyssée étonnante, dans une quête désespérée du moindre rouble qu'ils n'ont pas ou qu'ils ne veulent pas donner et c'est là que la magie du roman opère. C'est une galerie de portraits exceptionnelle, qui joue juste, pas dans le pathos, pas dans la critique, pas dans le jugement, pas dans l'angélisme, pas dans l'idéalisme. Raspoutine nous parle de l'humain vrai, avec ses bons et ses mauvais côtés.

Le petit vieux complaisant mais sans le sou, l'instituteur qui se la ramène un peu et qui aide mais que pourtant tout le monde critique, l'ami de longue date mais qui ne pourra pas grand chose et puis finalement si ou bien finalement non, la mégère du coin pleine aux as autant qu'elle est avare, les techniciens bien payés mais qui envoient leur femme dire que ce ne sera pas possible, etc., etc.

Ceux qui donnent ne sont pas toujours ceux qu'on croit. Ceux qui donnent ou qui ne donnent pas ne le font pas forcément pour les raisons qu'on croit. Avec cette trame, l'auteur a réussi à capter tout un système, toute une ambiance, toute une alchimie sociale, tout l'esprit de l'humain.

C'est du très grand art et j'en redemande. Mais souvenez-vous que ceci n'est que mon avis, c'est-à-dire très peu de chose, cependant, si le coeur vous en dit, donnez un peu d'argent pour Maria.
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