Mais elle pouvait changer tout un tas d'autres choses. Elle pouvait changer leur univers, leur quotidien. Leur façon de vivre. Leur façon d'être ensemble. C'était peut-être ça qu'il fallait faire.
C'était certainement ça.
C'était ce qu'elle allait faire.
Tout allait bien. Tout allait presque bien.
Avant que ce gamin ne débarque pour tout gâcher.
Avant qu'il ne passe le pas de la porte, j'étais avec mes filles et mon mari.
Et maintenant je suis seule avec un homme qui ne m'entend pas.
Ne m'écoute pas.
Ne me comprend pas.
Alors, petit soldat fidèle et volontaire, elle avait avancé sur ce chemin criblé de surprises, de larmes, d'attentes déçues, de merveilles révélées, de contrôles manqués, de bonheurs indéfinissables.
Je peux vivre avec le doute, avec la colère, avec l'absence. Mais pas sans confiance.
Ce serait ça alors, la vie de couple : trouver le plaisir dans les bras d'un homme et construire sa vie avec un autre ?
Pourquoi est-ce que je ne peux pas avoir les deux en un seul homme ? Dans celui que j'ai choisi pour faire de moi une mère ?
Alors c'est ça la vie à deux ? Deux solitudes qui s'ignorent et finissent un jour par s'insulter ?
Les feuilles des arbres étaient toutes tombées, faisant un grand tapis sombre sur l'herbe brune. Il aurait fallu tout ranger, tailler, planter les fleurs d'hiver.
Elle remarqua que c'était la première année qu'elle n'y avait pas pensé.
Et maintenant qu'elle y pensait, elle n'avait pas envie de le faire. Comme si elle n'avait plus envie d'investir quoi que ce soit d'elle dans cette vie où elle ne se reconnaissait déjà plus.
Ce paradoxe de l'amour maternel : se dire que "bien élever" ses enfants, c'est leur donner les moyens de partir, de vivre ailleurs, sur un chemin où on n'aura plus de place ni le droit de leur tenir la main.
Elle était à la buvette. Elle était dans les coursives. À observer cet homme qu’elle avait choisi pour partager sa vie de femme, sa vie de famille. Et qui était ailleurs, avec un enfant qui n’était pas le leur. Les filles, de leur côté, faisaient semblant d’être dupes. De ne pas avoir remarqué que leur mère était absente, enfermée dans ses pensées. Et que tout cela avait un lien avec l’absence de leur père. Puis Julie monta se coucher, comme les autres soirs, une boule dans le ventre.
Le mensonge était l’arme des faibles et le mensonge par omission celui des lâches. Ses filles devaient voir qui il était : un père qui préférait aller au concert avec le premier venu plutôt qu’avec sa famille. Pierre avait eu la lâcheté de ne rien dire, pas question de le couvrir.