Et pourtant nos amitiés sont des liens précieux. Ce sont des endroits moteurs où peuvent se partager solitude et affection, sans que l'on soit tenu•e auc loyautés et attendus conjugaux ou familiaux. À travers elles, nous sommes nombreuses et nombreux à avoir trouvé un espace au sein duquel se grandir était soudain possible, des lieux où laisser tomber ses défenses et où rencontrer une attention, un respect, un confiance qui, ailleurs, ne se distribuent pas toujours.
Nos liens amicaux sont, dans nos sociétés occidentales, généralement considérés comme secondaires, voire sacrifiables, en particulier une fois la jeunesse étudiante passée.
Il suffit de penser à la douleur que peut engendrer une rupture amicale pour saisir l'empreinte qu'elle laisse sur nos vies, bien que ces deuils-là n'aient que peu intéressé les auteurs et autrices de fictions. Et qu'il n'y ait généralement personne pour venir nous consoler avec un gigantesque pot de crème glacée lorsque nous perdons un•e ami•e.
Tout cela me semble un brin ironique : alors qu'on fustige les féministes pour vouloir "faire sédition" et s'exclure du vivre ensemble en s'aménageant des espaces en non-mixité, ce sont en réalité les hommes qui ont, statistiquement, davantage tendance à rester entre eux, et ce depuis leur petite enfance. "L'entre-soi des hommes [est] une non-mixité si vaste, si étendue, si généralisée, si ordinaire, en somme, qu'elle passe inaperçue", rappelle la chercheuse québécoise Martine Delvaux.
Cette situation n'a pas que des conséquences sur les hommes et sur les relations qu'ils entretiennent entre eux. Ainsi, bien vite, les femmes ont tendance à devenir l'unique pilier de la santé affective des hommes, ceux-ci faisant de celles de leur entourage (conjointe, amie ou mère) le réceptacle de leurs maux - qu'elles doivent en plus décoder (et sans le salaire de psy allant avec).
Nous nous sommes ensemble éveillé•es au féminisme, et cela n'y est certainement pas étranger. Au contact les un•es des autres, nous affûtons nos pensées politiques comme intimes.