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Critique de Klasina


Un court roman d'une poésie incontestable. L'écriture est poétique. L'histoire est poétique.

Au fil des pages, nous suivons des coeurs exilés, enclins à la douleur, au souvenir, notamment de la terre natale, au bonheur d'être ensemble, malgré la difficulté de l'exil.

Nous suivons Aita et Ama, leurs fils ( Otzan, Zantzu et Iduri) ainsi que quelques uns de leurs parents, de l'autre côté de la Bidassoa, loin de chez eux, étrangers sur une terre à laquelle ils ne rattachent aucun souvenir.

Le carnet d'Ama est le témoin silencieux, poétique de ses états d'âmes : des joies simples, des tourmentes, de la douleur, de l'angoisse. Par là, le ressenti des réfugiés espagnols peut vivre, à travers le personnage d'Ama.
C'est collectivement que se partage la souffrance de l'exil. Aita et Ama, ainsi que leur entourage cohabitent ensemble. L'essentiel se résume à ce phrase : « être ensemble, c'est tout ce qui compte ». La plus grande douleur serait la séparation des êtres que l'on aime.

Cependant, les amours, les rêves qui auraient été possibles en temps de paix, ne peuvent voir le jour. Comme si la vie s'était suspendue, comme si elle était partie, elle-même en exil. Il en est ainsi de Sebastian, frère d'Ama, qui s'éprend d'une infirmière juive de son camp. Une histoire aurait pu voir le jour : le début commençait à être écrit, mais il s'est refermé prématurément. Comme si la plume de cette histoire s'était brisée, laissant de l'encre, l'encre du chagrin et de la mort.

Ce n'est pas seulement l'histoire d'hommes, mais d'enfants. On entre dans la subjectivité d'un enfant, ce qu'il ressent face à la situation. Ainsi Otzan, culpabilise : « Tout est de ma faute ». Iduri se replie sur lui-même dans la solitude, il contemple la beauté de la nature, qui est propice à la méditation. Elle est une ressource. Un exil à l'intérieur de lui-même.

C'est une réflexion existentielle qui se dégage, en plus d'une leçon d'histoire. L'attachement à la terre natale marque l'identité d'un individu, d'un sujet. C'est pourquoi, sans cette terre, où a fleuri des amours, des joies, des sourires, et des chagrins, l'homme sent qu'une part de lui-même a été retiré. C'est plus précisément, parce qu'il s'identifiait à ce lieu, parce qu'il a semé lui-même ces germes. Les souvenirs, la nostalgie hantent le roman.

Il y a aussi réflexion sur la liberté politique. Rappelons le contexte historique : la guerre civile en Espagne de 1936 a opposé les nationalistes, partisans de Franco, le futur dictateur, et les républicains. En 1939, les républicains sont contraints de partir. C'est « l'exode républicain ». Beaucoup à la fin de la guerre, ne rentrerons pas en Espagne. C'est le cas pour nos personnages. En 1949, ils sont toujours en France. Peut-être ne verront-ils plus leur terre-mère. C'est que la dictature persiste jusqu'en 1975.

Quand les « oncles » sont déportés au camp de réfugiés, dont les conditions sanitaires mauvaises sont décrites, ni leur soif de liberté, ni leurs convictions n'ont pu être retirés. Ils ont choisi la République, il l'a choisiront toujours, malgré les oppositions, les menaces qu'ils peuvent rencontrer
Collectivement, ces réfugiés vivent presque en fusion, tant ils sont proches : la motivation de l'un est celle des autres, le découragement de l'un est celui de tous.
Ce lieu, qui s'apparente à une prison, où l'on ôte la possibilité de vivre libre, de s'exprimer, est paradoxalement le lieu de liberté. Ensemble, les réfugiés ont des conversations, que ce soit politique ou philosophique. C'est là que les idées circulent.

Ce n'est pas un hasard si Iduri fait des caricatures. Lui, enfant, a compris qu'en dessinant, il pouvait s'exprimer librement, malgré l'étouffement de l'exil. Zandzu est de ceux qui veulent savoir, il n'hésitera pas à s'intéresser aux étranges agissements de ses oncles. Chercher les informations par soi-même tel est l'essentiel.

Si la vie est contingence et par conséquent angoissante, Ama comprend qu'il faut accepter l'imprévisibilité de la vie. « J'ai compris, j'accepte maintenant que nos jours soient incertains. J'accepte ce qu'ils recèlent d'inavouable et d'effrayant. Combien de temps serons-nous encore ensemble, vivants, aimants ? » Par là, les expériences douloureuses ou non, forgent l'individu, et lui permettent d'évoluer, de changer. La fin de l'histoire est un parfait exemple…. La mort nous attrape par surprise.

Rêves oubliés est cette poésie tragique qui chante les maux de l'histoire et ceux de l'homme. Laissons la un instant nous habiter.


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