Temperance Brennan, tome 1 : Déjà dead

Les idées me viennent facilement. Mais les mettre en pratique est une autre affaire. Je suis du genre à laisser aller. Ce qui est peut-être une échappatoire, une manière de prendre la
tangente face à la plupart de mes résolutions. Obsessionnelle dans mon travail, mais irrésolue dans ma vie privée.

C'était le conflit intérieur qui m'avait épuisée. Durant quatre heures, j'avais résisté à une vieille passion dont je savais n'être jamais délivrée. Toute la nuit, j'avais affronté la tentation - l'éclat châtaigne du whisky sur glace, l'ambre de la bière coulant des bouteilles. J'avais respiré le parfum si tendrement suave de l'alcool, vu son éclat dans les yeux. Je l'avais tant aimé. Et Dieu seul savait comme je l'aimais encore. Mais pour moi l'enchantement était dévastateur. Le moindre badinage et j'étais anéantie. J'avais su m'éloigner, de douze longs pas. Et je m'étais tenue loin. Ayant été amants, nous ne serions jamais amis.

Je ne méditais plus sur le type qui s'était fait sauter la cervelle. J'y avais pensé plus tôt. Pour l'instant, j'en rassemblais les morceaux. Devant moi j'avais deux parties de crâne, et une troisième dépassait d'un récipient en inox rempli de sable, sur laquelle la colle finissait de sécher. il y avait assez de matière osseuse pour confirmer l'identité ... Le coroner allait être content.

Il continuait à rejeter mon idée de serial killer. Pouvait-il avoir raison ? Les coïncidences étaient-elles fortuites ? Est-ce que je me forgeais des associations de toutes pièces ?

Une heure plus tard, nous étions tous rassemblés autour de la voiture. Les deux enquêteurs avaient jeté sur le siège arrière veste et cravate. La sueur leur coulait sur le visage et le long du cou. Charbonneau avait un teint de tarte aux framboises et, avec ses cheveux qui rebiquaient sur le devant, on aurait dit un schnauzer avec une coupe ratée. Nos respirations étaient revenues à leur rythme normal et nous avions dit "fuck" une bonne douzaine de fois, à tour de rôle.

- Merde, a dit Claudel

Ce qui était une variante acceptable.

- Si tu veux avoir des chances de la retrouver un jour ta maison, Brennan, tu ferais bien de te bouger le cul d'ici. Et en vitesse.
Ma voix a résonné bizarrement dans l'espace clos, mais cela m'a aussi permis de remettre les pieds sur terre. J'ai démarré et les chiffres se sont affichés sur le cadran lumineux : 2:15. J'étais partie à quelle heure?

J'ai donné à la grille une bonne poussée pour enclencher le loquet le mieux que je pouvais et je suis revenue vers ma porte fenêtre. C'est alors que j'ai entendu l'autre son, plus léger et assourdi.
J'ai tourné la tête en direction du bruit, et j'ai vu un objet étranger au milieu de mon coin d'herbes aromatiques. Comme une citrouille, empalée sur un bâton sortant de terre. Le froissement doux était celui du plastique qui le recouvrait, effleuré par le vent.
L'horreur m'a saisie. Sans savoir comment j'avais deviné, j'ai eu l'intuition de ce que recouvrait le plastique. Les jambes tremblantes, j'ai traversé la pelouse et soulevé le sac.

-Docteur Brennan... Ryan s'est levé et m'a tendu la main. Son long visage s'est fendu d'un sourire quand il a vu l'état de ma pommette droite.
Vous essayez une nouvelle marque de maquillage ?
-Absolument. Cramoisi, de chez Béton.

Marc Bergeron avait à tout point de vue un physique déroutant. La cinquantaine finissante ou la jeune soixantaine, une longue silhouette osseuse, légèrement voûtée, penchée en avant comme s'il encaissait perpétuellement un uppercut dans l'estomac. Ses cheveux ne commençaient qu'à la moitié arrière du crâne et jaillissaient en une couronne de bouclettes blanches. Ce qui l'amenait au-delà du mètre quatre-vingt-dix. Ses lunettes étaient toujours graisseuses, maculées de poussière, et souvent il louchait au travers, comme pour déchiffrer les petits caractères d'un coupon-rabais. Il avait plus en commun avec un personnage de Tim Burton qu'avec l'image classique d'un odontologiste judiciaire.