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Critique de RemDesp


Attention : ce roman contribue à une regrettable désinformation !

À l'occasion d'aventures de Dimitri, jeune reporter à l'AFP, l'auteur reprend à son compte toute une légende : (1) Louis Pouzin aurait été "l'inventeur du datagramme" ; (2) cela aurait fait de lui "l'inventeur ... d'Internet" ; (3) il aurait été "brusquement interrompu dans ses recherches ... en 1974", par Giscard d'Estaing influencé par le puissant lobbyiste Ambroise Roux ; (5) le réseau Transpac, support notamment du Minitel, et le standard X.25 auraient été conçus par des non-informaticiens.

Ayant été personnellement un acteur des réseaux du début des années 1970 jusqu'à 2010, et ayant eu à cette occasion des échanges variés avec Louis Pouzin, et avec les principaux acteurs américains d'Internet, je peux affirmer que tout ceci est historiquement faux.

(1) Louis Pouzin n'a pas été "l'inventeur du datagramme". Il n'a inventé ni le nom ni la chose car il a simplement été le premier à tester, sur son réseau Cyclades, un modèle de réseau qu'avait imaginé et décrit le britannique Donal Davies plusieurs années auparavant. (Ce modèle est d'ailleurs gravement caricaturé dans le roman d'Éric Reinhardt qui en présente l'objectif comme "améliorer le comportement des systèmes téléphoniques", ce qui est rigoureusement faux !)

(2) Louis Pouzin a encore moins été "l'inventeur d'Internet". Inventer Internet a certes nécessité de mettre en place un réseau de transmission, mais cela a surtout été d'inventer les applications qui ont justifié son utilisation. Son succès a d'abord résulté de celui de sa messagerie électronique (protocole SMTP standardisé à partir de 1982), puis il a été celui de la navigation Web qui permet par simples clics de passer d'une page multimédia à une autre, situées n'importe où dans le monde (protocole HTTP standardisé à partir de 1997). Ces applications communiquent à travers le réseau au moyen de "circuits virtuels". Elles ont utilisé les circuits virtuels de TCP/IP, à base de datagrammes, mais, techniquement parlant, elles auraient pu tout aussi bien utiliser les circuits de l'X.25 du CCITT où les ordinateurs n'avaient pas à gérer eux-mêmes des datagrammes. C'est pour des raisons historiques complexes, qu'il serait déplacé de commenter ici, que la messagerie puis le Web ont entrainé le succès TCP/IP.

(3) Les recherches de Louis Pouzin n'ont pas été "brusquement interrompues par les pouvoirs publics en 1974". En tant que "projet pilote" de l'lRIA, le projet expérimental Cyclades avait au départ une durée de 3 ans. Commencé en 1972, il n'a été terminé qu'en 1978. En 1974, son financement a été seulement transféré de la Délégation générale à l'Informatique à la Direction des Industries électroniques et à l'Informatique nouvellement créée (la DIELI). de même, la mise à disposition gratuite par les PTT des lignes de transmission du réseau (une part significative des dépenses du projet) a été maintenue jusqu'en 1978. Quant à Giscard d'Estaing et Ambroise Roux, autant ils ont bien, comme l'indique le roman, mis fin au grand projet Unidata d'informatique européenne en 1974-1975, autant ils n'avaient aucune raison de s'en prendre au passage à un projet pilote en cours à l'IRIA. En en tout cas ils ne l'ont pas fait. Ce n'est qu'en octobre 1977, plus d'un an avant la fermeture de Cyclades, que Louis Pouzin a reçu la lettre du président de l'IRIA citée dans le roman. Celle-ci, loin de lui donner "l'ordre de ne plus s'occuper de réseau" comme l'affirme le roman, se limitait à lui demander de "respecter la règle du jeu" que lui avaient fixée l'IRIA et la DIELI.

(4) le réseau Transpac, support du Minitel, et le standard X.25, n'ont nullement été conçus par des non-informaticiens. le roman fait dire au Délégué général à l'Informatique que, "les télécoms ne voient pas l'intérêt de Cyclades pour la seule et unique raison que c'est une invention d'informaticiens". Louis Pouzin a en effet réussi, à cette époque et plus tard, à faire croire que les concepteurs de Transpac, et du standard X.25, n'étaient pas informaticiens. Grâce à cela, il a pu, sans argumenter sur le fond, répandre l'idée que les ingénieurs du CNET n'avaient pas compris les besoins réels de l'informatique. Or c'est à moi que les télécom ont confié la responsabilité de spécifier les protocoles de Transpac. Avec une équipe d'informaticiens chevronnés du CNET, n'avons jamais reçu aucune pression venant de non-informaticiens pour orienter nos choix. Si Louis Pouzin pouvait à juste titre se dire informaticien (il avait notamment travaillé au MIT en 1963-1964 où il avait obtenu un master), je l'étais tout autant (j'avais notamment travaillé à Berkeley en 1967-1969 où j'avais obtenu moi aussi un master, et même un doctorat). Nous faire passer pour non-informaticiens est tout simplement une insidieuse contre-vérité.

En conclusion, indépendamment des aventures personnelles de Dimitri et de ses autres enquêtes, que chacun peut librement apprécier ou non, attention aux fake news distillées dans cet ouvrage.

Rémi Després
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