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Critique de Kirzy


Kirzy
10 septembre 2023
°°° Rentrée littéraire 2023 # 14 °°°

« Il n'y avait plus rien à dire, sinon qu'Isor était étrange. Un adjectif comme un naufrage. »

Isor n'entre pas dans les cases. C'est une enfant différente, qui ne parle pas, ne joue pas, n'interagit pas avec ses parents. Même le marathon d'expertises ne permet pas de poser un diagnostic clair, au point que les parents décident lorsqu'elle a six ans de la retirer du monde, de ne pas la scolariser et de vivre avec elle en huis clos.

« Maintenant, ce sera nous – rien que nous trois. »

Dans la première partie, ce sont les parents, en de courts paragraphes intitulés « père » ou « mère » qui nous racontent leur fille désormais âgée de treize ans. Leur quotidien douloureux avec leur fille dont ils ne comprennent pas les colères chroniques et son silence oppressant. Leur désarroi et leur souffrance de ne jamais recevoir l'intériorité d'Isor qui s'échappe en permanence d'eux, de ne pas pouvoir accéder à son être, mais aussi leur amour pour Isor :

( Mère ) « C'est dans le mouvement qu'elle se révèle, qu'une grâce inexprimable et malhabile se met à l'habiter. Isor est belle lorsqu'elle est vivante – et heureusement pour elle, elle l'est tout le temps. Se rend-elle compte de la chance qu'elle a ? de l'étonnante perfection qui lui incombe ? Elle peut se rouler par terre, se coincer les cheveux dans le siège de la voiture, pleurer, mettre des habits trop grands, se tacher de sauce tomate, se prendre une averse, elle sera toujours magnifique, inconditionnellement. Pire que cela : le désordre lui va bien. Elle le porte comme un bijou. L'effervescence, le hasard sont ses parures qu'elle renouvelle à l'infini. »

« Lorsqu'elle dort, on peut presque voir sur sa peau de lait les ombres de ses rêves qui passent. C'est pour cette raison que je reste près d'elle ; et alors j'imagine tout ce à quoi elle pense. »

Même si de nombreux passages sonnent très justes sur le vécu et ressenti de parents d'enfants différents, La Colère et l'envie n'est pas un roman hyperréaliste sur le « handicap ». Il tient bien plus du conte, notamment à partir de la deuxième partie lorsqu'un nouveau narrateur fait irruption dans le récit : le vieux voisin Lucien qui va nouer une amitié fusionnelle assez inouïe, quasi un amour fou, avec la mystérieuse Isor.

La dernière partie est juste sublime, s'évadant hors du monde réel tout en y étant profondément rattachée. Elle m'a donnée la chair de poule tellement la pureté de la langue inventée par Alice Renard pour Isor, la mutique qui éclot au monde, est belle avec ses fautes de syntaxe et « erreurs » de vocabulaire qui illuminent les phrases d'une poésie solaire irradiant à travers les pages :
« Suis en éclosion. Me sens pleine de bourgeons qui s'entrelèvrent. Me semble être un arbre fruitier que les fleurs commencent à donner des trésors. Je porte toutes les promesses de la terre à bout de mes bras. Je m'avance tel un jardin, tel un côteau, à la rencontre du printemps. Je cours. Je vais mûrir, je vais me rouler dans ces fleurs pour la vendange. Oh quelle saison ! »

J'aurais voulu citer quasiment toutes les vingt dernières pages qui m'ont bouleversée aux larmes. Ce merveilleux roman fait un bien fou, Isor s'ouvrant à la vie, au monde, à la réconciliation. Sur les pas de la jeune fille, on apprend à écouter les silences de ceux qui ne s'expriment pas avec les normes et les codes de la société.

Une premier roman lumineux, coup de coeur évident, qui se fait hymne à l'hypersensibilité et à la neurodiversité avec une originalité et une force réellement surprenantes qui met de la magie dans les mots. Grâce, beauté et liberté.
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