AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de glegat


« François Mitterrand a conjugué en un désastreux et paradoxal mariage, l'abus de pouvoir et l'impuissance à gouverner, l'arbitraire et l'indécision, l'omnipotence et l'impotence, la légitimité démocratique et le viol des lois, l'aveuglement croissant et l'illusion de l'infaillibilité, l'État républicain et le favoritisme monarchique, l'échec et l'arrogance, l'impopularité et le contentement de soi. »

Lorsqu'on lit ses lignes rédigées en 1992, on est frappé par le fait qu'elles pourraient à peu de chose près s'appliquer 30 ans après au président actuel Emmanuel Macron. C'est un peu la thèse de Jean-François Revel (1924 - 2006) qui défend l'idée que ce ne sont pas forcément les hommes au pouvoir qui sont coupables, mais l'institution.

« Il est des outils dont le mauvais usage découle si manifestement de la notice d'emploi qu'il est criminel de les placer entre les mains fût-ce d'un saint. » Chaque nouveau président prend le pouvoir en promettant d'éviter les abus de ces prédécesseurs, mais se laisse progressivement grisé par la fonction et les prérogatives qui y sont attachées. Ce livre n'a pas pour but de juger des mérites de la politique de tel ou tel président, il s'agit de décrire la mécanique du pouvoir présidentiel tel qu'il fonctionne en France. Bien qu'écrit en 1992 cet ouvrage est toujours d'actualité, car il parle de notre constitution en vigueur depuis 1958 et dont l'opposition réclame à grand cri la refonte.

Dès le deuxième chapitre, Jean-François Revel parle de l'article 49-3 de la constitution qui fait aujourd'hui l'actualité dans le cadre de la réforme des retraites dont l'adoption aux forceps est rejetée par une grande majorité de Français. Cet article 49-3 a pour conséquence qu'un texte de loi sur lequel le gouvernement a engagé sa responsabilité est considéré comme adopté à moins qu'une motion de censure ne soit votée.

« Cet article est l'un des facteurs qui ont contribué à faire de l'Assemblée nationale le seul lieu en France où l'on ne débatte jamais des grands problèmes nationaux » (Page 17)

« Dans la Ve république, il semble qu'il n'y ait plus rien entre l'Élysée et la rue, parce que l'Élysée, pour son confort, a laminé les pouvoirs intermédiaires et débranché les signaux d'alarme, de sorte que le président se réveille périodiquement dans un paysage inconnu, face à un peuple qu'il a perdu de vue » (Page 57)

C'est donc à une critique virulente de nos institutions à laquelle se livre l'auteur avec intelligence et humour comme à son habitude. Il dénonce également l'irresponsabilité des gouvernants : « La logique de la Ve république déresponsabilise, puisque le pouvoir y est imparti par un omnipotent irresponsable à des créatures qui ne sont que des émanations de son essence et participent en conséquence de son privilège d'irresponsabilité. » « Page 77)

Tout ce que dit Jean-François Revel relève à la fois du constat et de la prémonition, car le futur lui donne raison :

« Dans la Ve république, le dialogue ne précède jamais la décision, il suit le fait accompli, quand la société se rebiffe. Imbu de lui-même le pouvoir présidentocratique, surtout quand il est représenté par les larbins et obligés, souvent plus cassants que le maître (on peut penser aujourd'hui aux ministres Darmanin et Dussopt), ne s'abaisse pas au compromis durant les phases préparatoires. Il supprime ou écourte la négociation et se dispense d'obtenir un accord préalable des citoyens concernés. Puis, quand la révolte déferle dans la rue, il bat en retraite et ouvre les pourparlers ». (Page 143)

On ne sait pas si le projet de réforme de la retraite va finalement être promulgué, mais le mécanisme décrit par Jean-François Revel colle parfaitement à l'actualité. Après avoir souhaité écourter le dialogue social, la Première ministre reçoit aujourd'hui les syndicats plus renforcés que jamais. Un formidable bras de fer est en cours, entre d'un côté, le pouvoir en place qui compte bien utiliser tous les moyens constitutionnels pour faire passer sa loi et de l'autre, la majorité des Français qui réclame plus de démocratie dans notre pays. La légalité d'une action n'est pas garante de sa justice.L'accumulation des manoeuvres « légales » pour faire passer par la force une loi rejetée par le peuple peut conduire à faire exploser le système.Notre constitution est peut-être arrivée à ses limites et il est peut-être temps de la réformer, c'est ce que Jean-François Revel nous dit dans son excellent essai « l'absolutisme inefficace ».

— « L'absolutisme inefficace, ou contre le présidentialisme à la française », Jean-François Revel, Plon (1992), 190 pages.
Commenter  J’apprécie          10



Ont apprécié cette critique (1)voir plus




{* *}