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Critique de Musa_aka_Cthulie


J'ai presque envie de débuter ma critique par "C'est une merde", pour reprendre les propos d'un des personnages de la pièce. Certes, c'est un début un peu vulgaire, mais certainement pas plus que cette pièce qu'on nous vend depuis 1994 comme un chef-d'oeuvre et qui, non seulement se révèle un piètre texte, mais également un plagiat éhonté du théâtre de Nathalie Sarraute. Que la plupart des lecteurs ne s'en soient pas rendus compte, c'est bien normal, on passe tous les jours à côté de telle ou telle référence dans telle ou telle oeuvre d'art. Que les critiques littéraires et spécialisés en théâtre ne l'aient jamais, à ma connaissance, mentionné, voilà qui fait en revanche un peu problème.


Art, c'est un argument très simple : Serge a acheté un tableau très cher avec des lisérés blancs sur fond blanc (déjà, vous remarquerez la référence à Malevitch et consorts d'une grande subtilité), Marc n'hésite pas à se montrer odieux avec Serge en lui riant au nez et en traitant le tableau de "merde", et Yvan, qui se débat dans des problèmes matrimoniaux, familiaux, professionnels, se retrouve à son corps défendant jeté dans le débat qui dégénère. On va commencer par le plus clair : c'est bourré de clichés. Clichés sur l'art contemporain, sur le marché de l'art, sur ceux qui aiment ou font semblant d'aimer l'art contemporain (Reza ne fait pas la différence allez hop, tout le monde dans le même sac, de toute façon c'est tous des cons), sur ceux qui ne font pas partie de la bourgeoisie et qui ont mauvais goût en matière d'art (comme ça Reza joue sur tous les tableaux, c'est le cas de le dire), sur la bourgeoisie qui se soigne forcément à l'homéopathie, sur les personnes qui ne supportent pas qu'on leur fume dans la tronche, sur la psychanalyse, le pompon revenant au sujet du psychanalyste d'Yvan, qui porte un nom... juif. Ben voyons. Ça fait déjà beaucoup. Et c'est d'une démagogie assez répugnante, alors qu'un Feydeau aurait fait d'un tel sujet une satire sociale à se tordre de rire.


Comme tout ça est basé sur des clichés, eh bien tout ça ne dit pas grand-chose sur pas grand-chose, Reza étalant son texte - d'une cinquantaine de pages -, le délitant parfois au maximum, pour carrément se vautrer dans des dialogues aussi prétentieux que creux. Et puis quand même, Reza nous rejoue le coup du plagiat. Elle avait donc déjà gentiment plagié Tchekhov et Schnitzler pour La traversée de l'hiver, même si ça passait plus ou moins. La voilà qui réitère avec Sarraute comme je l'annonçais en début de critique. Nous voici par conséquent avec un zeste de C'est beau (pour le côté art) mêlé à une reprise, presque textuelle à certains moments, de Pour oui ou pour un non. Deux pièce qui étudient la question cruciale de ce que Sarraute appelait le tropisme et qui a été le grand sujet de sa littérature. Dans l'une, une phrase, "C'est beau" est le déclencheur d'une crise familiale, dans l'autre, c'est quelque chose d'encore plus anodin, un "Oui, c'est bien, ça", qui sera le moteur de toute la pièce et poussera deux amis (comme par hasard!) à entrer en crise et à scruter, fouiller, décortiquer leurs rapports d'amitié.


Mais après tout, ce n'est pas parce qu'un sujet a déjà été traité par un dramaturge qu'il est interdit à un autre, et heureusement ! Encore faut-il avoir quelque chose à dire, encore faut-il posséder une once d'originalité, ou de personnalité, ou de je ne sais quoi... et un projet. D'ailleurs, je me plains de plagiat mais je suis à peu près sûre que là n'était pas l'intention de Reza ; il s'agissait sans doute de rendre hommage à Sarraute (comme La Traversée de l'hiver était sans doute un hommage raté mais voulu à Tchekhov et Schnitzler), avec humour - humour que j'ai très peu goûté, mais c'est une autre question. Seulement voilà, Sarraute, c'est fin, c'est travaillé, c'est réfléchi et c'est la démarche de toute une vie d'écrivain. Et ça demande un travail, une implication de la part du lecteur ou du spectateur. Alors que Reza, c'est superficiel, aguicheur, prémâché.

Je peux comprendre qu'on n'aime pas le théâtre de Sarraute, qu'on recherche plus de naturel dans les dialogues. Mais dans ce cas, il existe un duo de dramaturges, curieusement contemporain de Reza, et ayant composé deux pièces qui, dans un style certainement plus naturel que Sarraute, a également scruté les profondeurs des rapports d'amitié (et, surtout, des rapports familiaux). Forcément, ça fait moins classe de citer Bacri et Jaoui que de citer Reza... Et ils sont pourtant bien davantage intéressants. Ce qui m'amène à ajouter que, non seulement Reza a plagié honteusement Sarraute, mais qu'elle ne s'est pas non plus privée pour aller voir du côté de Cuisine et dépendances, qui date de 1992.

Et là, je commence à me demander quels autres auteurs a plagiés Reza dans ses autres pièces...

Ah oui, et y'a un truc que devrait savoir Yasmina Reza : on ne nettoie pas un tableau avec du savon, même si les dégâts commis dessus l'ont été avec des feutres dont l'encre s'efface, sans que la toile soit abîmée. C'est d'ailleurs pour ça qu'il existe des restaurateurs de tableaux. Mais probablement est-ce là encore un de ces trait d'humour à la Reza, que je trouve toujours lourds et en même temps ambigus.



Challenge Théâtre 2018-2019
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