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Critique de michfred


Une soirée entre amis, une "fête de printemps" dans un petit appartement de la banlieue parisienne…

Elizabeth, la narratrice, insiste pour qu'elle et Pierre, son mari, y invitent aussi leurs voisins du dessus, la soixantaine comme eux, mais qui ont un petit quelque chose de piquant, d'intéressant qui ne manquera pas de plaire à leurs amis de toujours : la femme, Lydie, rousse pythonisse habillée en gipsy, chante dans les bars jazzy quand elle ne dit pas l'avenir à quelques paumés dans son « cabinet » de voyante. Mais c'est l'homme surtout qui retient l'attention, la sollicitude et la tendresse d'Elizabeth, chercheuse en biologie de son état : Jean-Lino Manoscrivi est la gentillesse même, il tente à toute force de se faire aimer d'un épouvantable petit tyran, le petit-fils de sa femme , Lydie, mais pas le sien, et ce manège qui n'a pas échappé à sa curiosité, attendrit Elizabeth.

La soirée se passe plutôt bien, arrosée et rieuse : Jean-Lino se taille même un petit succès en moquant gentiment sa compagne, entichée de poulets bios élevés en plein air et « perchant » librement... Mais au milieu de la nuit, c'est le drame. Jean-Lino revient et réveille ses voisins et amis : dans un coup de folie, il a étranglé Lydie.

Tout le récit de Yasmina Reza oscille entre deux pôles : la satire sociale et le polar.

Babylone est d'abord le récit comique d'une soirée bobo où les propos se télescopent joyeusement, au rythme des bouteilles qui se vident, où les portraits esquissés des convives sont autant de caricatures enlevées et savoureuses. La phrase rapide, incisive, sautant allègrement du.. poulet-à-l'âne , excelle à rendre vivante une scène de fête avec ses préparatifs angoissés, son lâcher-prise aviné, et ses rangements fatigués.

Le deuxième pôle est donc celui du thriller -les nombreuses prolepses nous font vite comprendre que Lydie va être au centre du drame qui, si j'ose risquer cette métaphore gallinacée, couve. Mais étonnamment les causes de ce coup de folie aux conséquences dramatiques sont dérisoires : une envie de faire rire, un peu d'exagération, un mime maladroit mais pas malintentionné et tout part en vrille.

Après les mots pour rire, les mots qui blessent, et enfin les gestes qui tuent.

Le minime, le dérisoire, le banal débouche brutalement sur la tragédie, mais là encore Yasmina Reza surprend : Elizabeth et Jean-Lino errent entre palier, ascenseur et cage d'escalier, en pyjama et pantoufles, avec une très voyante valise rouge, sans se décider à rien, qu'à échanger sur leur mutuelle solitude.

Étrange roman, où les dialogues, même absorbés dans le récit, sont percutants et drôles comme autant de répliques théâtrales – bon sang ne peut mentir- et où le cocasse flirte avec le profond, l'absurde avec la philosophie…A quand la pièce tirée du roman, Madame Reza?

C'est donc un roman un peu hybride, ce qui n'est pas pour me déplaire, mais m'a parfois un peu déconnectée du récit, à force de changements de ton et de douches écossaises…

Le titre est tiré des Psaumes (Exil) :. "Aux rives des fleuves de Babylone nous nous sommes assis et nous avons pleuré, nous souvenant de Sion."

Car tout le récit parle d'exil et de la souffrance d'être éloigné de ce qui nous paraît une patrie originelle : exil des vieux- encore- jeunes, éloignés, sans espoir de retour, de leur jeunesse, exil dans le malheur où vous précipite un geste inconscient mais irréparable, exil de chaque être dans sa solitude, son envie d'être aimé et reconnu qui le rend incapable d'empathie ou d'aide- ou alors si brièvement, si extraordinairement, que le retour à la réalité, au comportement rationnel et « normal », c'est-à-dire à la vie routinière, machinale et égoïste, est un nouvel- et plus cruel- exil.

J'ai souvent senti cette gravité désenchantée derrière les persiflages, les traits d'esprit ou les caricatures, mais par peur de peser, d'alourdir, d'attrister Yasmina Reza ne fait que l'effleurer, au passage.

C'est peut-être mieux ainsi, mais je l'ai parfois regretté.

Ce plongeon –là bien peu sont capables de le faire avec élégance et détermination : Jean-Paul Dubois avec La Succession l'a magistralement osé. Yasmina Reza est restée sur le bord de la piscine, elle n'a fait que se tremper les pieds.
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