AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de pleasantf


Parce qu'il étouffe dans le train-train quotidien, le psychiatre Luke Rhinehart a recours un soir à un lancer de dé pour s'offrir la possibilité d'assouvir un désir transgressif à savoir le viol de sa voisine. A partir de cette expérience initiatique, le récit raconte les différentes étapes qui vont mener peu à peu le protagoniste à une soumission totale aux dés. Au début, ceux-ci déterminent des aspects relativement anodins de la vie comme le choix d'un livre ou d'un endroit où boire un verre. Des options à priori indésirables sont ensuite introduites pour ne pas se cantonner à des expériences agréables. Et l'homme-dé en arrive à considérer la méthode des dés comme un moyen de façonner un homme nouveau, que ce soit lui-même ou ses patients, un moyen de libérer l'être humain de ses névroses et de ses tensions néfastes. Selon le résultat obtenu par les dés, Luke Rhinehart se métamorphose en de multiples personnages aux personnalités et aux comportements différents jusqu'à en devenir complètement incohérent et absurde.
Il finit en dévot totalement soumis à la religion du dé et du hasard. Il la théorise et cherche à convertir de nouveaux adeptes. Comme dans toute religion, certains deviennent à leur tour des pratiquants convaincus. D'autres en restent au stade de sympathisants qui appliquent les préceptes de manière plus ou moins rigoureuse. Face à son entêtement à soumettre tous les aspects de sa vie aux dés et au hasard, le psychiatre est ‘excommunié' par ses pairs. Cela ne réfrène pas le héros qui pousse sa démarche à son paroxysme en jouant aux dés la décision de commettre un meurtre avant que son absence de tout jugement moral ne lui soit finalement fatale.
Ce roman vaut moins pour ses qualités purement littéraires que pour les nombreuses questions d'ordre philosophique qu'il soulève. Ce livre est généralement considéré comme un manifeste subversif écrit par un apôtre de la contre-culture des années 60 et du début des années 70. Il reflète en effet les idées représentatives de l'époque : libération sous toutes ses formes, expression non bridée du désir... Le passage dans lequel Luke et son patient Eric tentent de dynamiter l'institution psychiatrique m'a fait penser au ‘Vol au-dessus d'un nid de coucou' écrit par Ken Kesey, précurseur du mouvement hippie et de l'usage du LSD au début des années 60. Néanmoins je trouve que Cockcroft (le vrai nom de l'auteur du livre) reste finalement lucide sur le caractère utopique de la démarche et sur les illusions que renferme une démarche soi-disant aussi radicalement émancipatrice.
Le roman pose de nombreuses questions autour des notions du Moi, de la transformation de l'individu, de l'identité, des rôles attribués à chacun dans la société, des déterminismes sociaux et de la possibilité de s'en échapper. Est-il possible de se transformer radicalement ? Est-ce même souhaitable ? Dans quelle mesure peut-on agir en dehors des normes ? Dans quelle mesure le désordre voire l'incohérence sont-elles souhaitables ? Dans quelle mesure peut-on accepter les déviances ? Comme un descendant du roman de Gide ‘Les caves du Vatican' où Lofcadio commet un meurtre gratuit, le roman pose la question de la liberté.
Bien qu'emblématique de son époque, ce roman se rattache à la tradition américaine, sur plusieurs aspects : la religiosité intrinsèque de la société américaine (l'épisode où le dé ‘demande' de tuer quelqu'un est un écho à l'épisode biblique du sacrifice d'Isaac par Abraham), la méfiance vis-à-vis de la société vue comme une source de corruption (telle que l'exprime Thoreau par exemple), ou encore le dépassement des frontières considérée comme une oeuvre individuelle ou communautaire. Mais ce roman fait écho aussi à d'autres mouvements ou cultures et cela en fait sa richesse : j'ai pensé aux happenings dadaïstes, au futurisme et de façon générale au modernisme du début du XXème siècle, tournés vers l'avenir pour faire table rase du passé, aux idées de Krishnamurti lui aussi désireux de transformer radicalement l'individu.
Commenter  J’apprécie          450



Ont apprécié cette critique (26)voir plus




{* *}