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Critique de oblo


oblo
17 février 2018
Avec Amaro au volant de la Hudson, Getulio est un convoyeur. L'objet qu'il transporte, la peste comme il dit, ou le chose, est pourtant un homme. A travers les chemins à charrette du Sergipe, petit Etat du nord-est brésilien, Etat où le sertao, cette région semi-aride que les pluies tiennent en sursis, cette région déjà célébrée de sombre façon par le roman Diadorim de Joao Guimaraes Rosa, Amaro et Getulio convoient donc un homme dont on sait peu de choses. Un politique, peut-être, réclamé par le chef de Getulio, dont on sait peu de choses également. Mais l'on devine que le titre de sergent dont se réclame Getulio n'est pas tout à fait lié à la police ou à l'armée, et qu'il appartient à une sorte d'armée privée, dont l'existence flirte avec la légalité.

La force du récit tient dans sa forme et dans son étrange poésie. Par sa forme : monologue halluciné, décousu, véritable bloc de prose que ne vient troubler presque aucun dialogue et très peu de ponctuation, le récit oblige le lecteur à une grande attention. A travers les lignes, on devine tout à la fois le parcours des trois hommes, les prouesses passées d'Amaro et de Getulio mais aussi les rêves fantasques et mégalomanes de ce dernier, qui s'imagine à la tête d'une armée d'invincibles guerriers ou père d'une fratrie redoutable.

La poésie, elle, réside tant dans la mélancolie et les souvenirs de Getulio que dans la violence qui imprègne le livre. Il y a les souvenirs de Getulio : l'assassinat de sa femme, la cruauté de Lampiao, le plus célèbre des cangaceiros (bandits pauvres du sertao), celle de Getulio envers son prisonnier auquel il arrache deux dents à la tenaille ou envers un lieutenant auquel il coupe la tête. La violence de Getulio, celle des hommes, est inhérente à la nature du sertao. Plein de cette violence, Getulio s'imagine invincible, fort comme personne, et ce jusqu'à ses derniers instants : seule la mort arrête son monologue.

La personnalité de Gétulio s'affirme hors norme lorsqu'il apprend que l'ordre qu'il a reçu est annulé. Homme de parole, "de vertu" comme l'indique Ribeiro, Getulio persiste : il emmènera le chose jusqu'à Aracajou, la capitale du Sergipe. A partir de là, lui le gardien de prisonnier, l'homme que les violences physiques n'impressionnent guère, l'homme qui ne connaît pas la peur, devient recherché et même persécuté. On dépêche après lui des troupes importantes, signe que l'homme est redouté. Pourtant, Getulio ne fait qu'obéir.

A travers ces lignes, on voit aussi en filigrane se dessiner un portrait du sertao, région dure pour les hommes qui deviennent, à leur tour, des braves ou des morts. Cela commence par la terre qu'enfant on mange, littéralement, pour survivre. Et cela continue par les saisons sèches, par le passage des cangaceiros, bandits aussi cruels que respectés, par les luttes politiques réglées à coup d'enlèvement, de coups de mains et d'assassinats. le Brésil perd ici de son exotisme pour s'imposer brutalement à l'imaginaire du lecteur : le sergent Getulio, dans son envolée aussi lyrique que folle, aura réussi, littéralement, à nous impressionner.
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