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Critique de AMR_La_Pirate


Ce roman de Samuel Richardson, publié en 1747-48, est considéré comme le premier roman anglais et a été diffusé et traduit dans toute l'Europe. La première traduction en français est celle de l'Abbé Prévost en 1751.
J'ai découvert ce roman épistolaire, il y a déjà quelques années, dans une édition abrégée et illustrée d'estampes qui présente des textes choisis pour une étude universitaire, une préface et des notes très précieuses pour resituer cette oeuvre dans son contexte. Ma critique de lectrice est un résumé de mes notes de lecture et d'études prises à cette occasion.

Pour utiliser un vocabulaire auquel nous sommes aujourd'hui habitués, on peut dire que ce roman est le récit d'un harcèlement moral et sexuel qui peut se résumer en quelques lignes : pour échapper à un prétendant imposé, un nouveau riche peu scrupuleux, Clarissa est enlevée par Lovelace, un bel aristocrate, séducteur libertin qui repousse toujours le mariage promis ; elle résiste à ses avances jusqu'à ce qui la viole… Elle va ensuite refuser toutes les intercessions en faveur de Lovelace, pourtant repenti, et se laisser mourir.
C'est un roman sur la vertu, la résistance, sur la persévérance et sur l'obstination.
La narration s'enrichit d'un bon appareil romanesque : des duels au début et à la fin, une fuite sous forme d'enlèvement, le portrait du libertin, des scènes de violences familiales, le basculement dans l'horreur avec le viol et la maladie de Clarissa, sa mort exemplaire… Richardson dépeint une société où les parents sont cruels et les frères brutaux, où les amis trahissent, où le sauveur devient un violeur ; Clarissa va d'épreuves en épreuves, toujours plus graves les unes que les autres.
Mais le viol, élément central du roman, commis tardivement, n'est pas décrit : un tel acte ne saurait être raconté. Métaphoriquement, il rompt la communication entre les personnages.

Clarissa Harlove est une figure féminine sublimée qui force toujours le respect. Elle prend la dimension d'une héroïne tragique, enferrée dans un destin qu'elle pourrait changer en accédant à une forme d'indépendance rendue possible par l'héritage de son grand-père qu'elle refuse, se maintenant toujours dans un rejet total et ce, jusqu'au bout. Richardson pousse cette logique le plus loin possible.
Clarissa campe un modèle de vertu aristocratique, sans compromission et jusqu'au sacrifice ultime.
Pourtant, paradoxalement, c'est son corps qui est au centre du récit, véritable noeud thématique, au sens d'enjeu. Lovelace veut la séduire, puis il l'enlève, la séquestre, la viole ; il voudrait même conserver son cadavre en l'embaumant et mettre son coeur dans une urne de cristal ! La famille de Clarissa veut la marier à Solmes qui lui laisse entendre qu'elle saura s'accommoder de cette union. Clarissa elle-même fait jouer son corps avec l'espace dont elle dispose : elle s'enferme, s'enfuit, est brutalisée, déménagée puis retenue prisonnière, prépare de manière mystique sa propre mort au lieu de se suicider. le corps malade, souffrant de Clarissa devient passif ; une fois morte, sa famille réclame son cercueil, voulant posséder la dépouille de celle qu'ils avaient tous rejetée.
La mort est la dernière étape du destin romanesque de Clarissa. Sa figure devient christique : après avoir été jugée par sa famille, comme Jésus par Pilate, elle est arrêtée pour dettes à la sortie de l'église, comme le Christ au Mont des Oliviers… Après sa mort, Lovelace imagine presque son Assomption…

Ce roman est très, très long, ennuyeux parfois, même dans une version réduite à une soixantaine de lettres, mais qui occupent tout de même plus de 500 pages ; c'est dire leur longueur quand on sait que le récit s'étire sur un an seulement de janvier à décembre ! …
L'échange de lettres permet d'expliquer les motivations familiales pour le mariage d'abord imposé à Clarissa, puis d'écrire toutes les tergiversations, les hésitations et les états d'âmes de la jeune fille ; certaines lettres détaillent tout un appareil juridique récurrent d'un bout à l'autre du roman. de plus, chaque événement est retranscrit selon les points de vue de tous les correspondants, parfois contradictoires… Il semble que dès les premières publications et surtout lors des traductions futures, les tentatives de réductions n'aient pas manqué. Les lettres s'échangent le plus souvent entre Clarissa et son amie Miss Howe et entre Lovelace et son ami Belford, libertin comme lui…

Ce roman est difficilement lisible dans son intégralité aujourd'hui. La forme épistolaire démultiplie l'action, la rend répétitive, épuise le lecteur… Ainsi, Balzac, pourtant grand admirateur de Richardson, fait dire à un de ses personnages dans La Maison Nucingen : " Clarisse est un chef-d'oeuvre, il a quatorze volumes, et le plus obtus vaudevilliste te le racontera en un acte "…
La sélection des lettres de cette édition restitue, par séquences ininterrompues, les moments importants du roman et elles sont données à lire entières, sans coupures. C'est un excellent moyen de découvrir L'Histoire de Clarissa Harlove.
Un livre pour les lecteurs avertis, curieux, courageux et amateurs du genre.
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