La Jeune Fille aux oracles

La devineresse avait, selon toute vraisemblance, une trentaine d’années ; elle donnait l’impression d’être sûre d’elle, et ses yeux sombres et noirs, presque moqueurs, semblaient tout savoir. Il se dégageait d’elle comme une intensité troublante, et la façon dont elle prit place dans son fauteuil tapissé de brocart était toute royale, comme si elle était la souveraine de ce monde secret et recevait des solliciteurs venant d’un monde inférieur.

Chapitre 3

Père m’avait expliqué qu’un esprit discipliné est le bien le plus important qu’un être peut posséder. Ce soir-là, nous laissâmes de côté les stoïciens pour lire le Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences de M. Descartes.

Chapitre 3

Ce fut l’été de mes douze ans que le destin et l’ambition de ma mère attirèrent sur moi l’attention de la sorcière la plus influente de Paris. Et c’est aussi à ce moment-là que l’esprit le plus sournois de cette sournoise ville conçut de créer la marquise de Morville. Sans le savoir, Mère consulta une devineresse à la mode qui n’était autre que la brillante et malicieuse reine des sorcières de la ville, et qui découvrit que j’étais née avec le pouvoir de lire l’avenir dans l’eau. Je me souviens encore de l’éclat de ses yeux quand elle se rendit compte que je portais ce don en moi et de son sourire calme et possessif – le sourire d’un connaisseur et collectionneur en présence d’un fou qui tiendrait dans les mains un vase des plus rares. Et parce qu’elle était ingénieuse, déterminée et aussi patiente qu’une araignée au milieu de sa toile, ce ne fut qu’une question de temps pour que je sois prisonnière de son filet.

Chapitre 3

Mon oncle, le frère de ma mère, se faisait appeler le chevalier de Saint-Laurent. GrandMère disait que ce titre était aussi faux que l’homme, et que l’on ne pouvait d’ailleurs guère s’attendre à mieux d’un pareil misérable, qui vivait dans le péché en jouant et en empruntant de l’argent aux femmes. Il avait la réputation d’être bel homme, bien qu’il y eût, dans son visage rusé et les yeux clairs et arrogants qui surmontaient ses pommettes saillantes, quelque chose que je n’aimais pas. Mais les femmes, elles, lui trouvaient grande allure.

Chapitre 2

Grand-Mère avait été huguenote avant que sa famille soit obligée de se convertir, et elle avait gardé l’habitude des protestants de lire la Bible – en dépit des cris scandalisés du reste de la famille.

Chapitre 2

Père, comme je devais l’apprendre plus tard, avait connu une rapide ascension sociale en tant que financier sous la protection de Nicolas Fouquet, le surintendant des Finances, mais il avait perdu toute sa fortune et sa liberté avec la déchéance de celui-ci. Son visage conserva à jamais la pâleur des prisonniers de la Bastille, et son cœur un dégoût profond pour la Cour et ses intrigues. Il avait été obligé de vendre ses bureaux et vivait à présent des maigres revenus que lui rapportait une petite propriété à la campagne qu’il avait héritée d’un oncle. De ses années en prison, il ne garda qu’un penchant pour la philosophie et un vif sentiment de répugnance à l’idée de retourner à la haute finance. Le bruit courait qu’il avait caché de l’argent à l’étranger, à l’abri de Colbert, le contrôleur général du roi, mais Père ne s’en ouvrait jamais.

Chapitre 2

Dans le récit qui vous est présenté, cependant, la vérité aura à se suffire à elle-même. Le jour de ma naissance fut en fait un jour gris d’hiver très ordinaire, à Paris, au début de l’année 1659. Ma mère avait eu des contractions toute la journée et toute la nuit précédentes, et on tentait désespérément de la sauver, quand, au dernier moment, alors que le médecin avait déjà sorti de sa sacoche le long crochet grâce auquel la mère seule peut, en dernier recours, en réchapper, la sage-femme poussa un cri. Enfonçant sa main, elle sortit une petite chose ratatinée, le souffle coupé par la quantité de sang qui se déversait sur les draps.
— Voilà une petite fille en bonne santé, madame Pasquier, déclara le médecin en plissant les yeux devant la minuscule cause de ses difficultés tandis que la sage-femme me montrait à ma mère.

Chapitre 2

Les odeurs somptueux du dîner qui se préparait me rendaient folle, car nous avions commencé à jeûner en prévision de la communion de la messe minuit. Il faut savoir, en effet, qu'en ces temps de corruption, où les libertins ne se confessaient qu'au seuil de la mort, et les soldats et les libres penseurs presque jamais, les sorcières de Paris ne manquaient jamais la messe. Seuls le roi et sa cour les égalaient dans leur stricte observance. Celles-ci comme ceux-là ne connaissaient pourtant rien aux Saintes Écritures et croyaient plus au diable qu'en Dieu. Mais dans la mesure où sans Dieu il n'y a pas de diable, les sorcières rendaient hommage à celui qui était en haut pour mieux adorer celui qui était en bas.

Alors que je sortais de l'hôpital par la rue du Marché-Palu, j'entendis des pas derrière moi. J'accélérai l'allure et traversai le parvis de Notre-Dame où le bruit des pas se fondit dans les clameurs de la rue et le bruit des attelages sur les pavés. Cependant, au tremblement que je ressentais dans tout le corps, je sus que celui que me suivait était toujours là, derrière.

On m'a souvent demandé à quoi ressemblait un dîner de sorcières. Est-ce qu'elles se nourrissent de chair humaine? Est-ce qu'elles arrivent à califourchon sur des balais? Ce ne sont là que des préjugés de la part de ceux qui ne savent pas.