En prenant ce livre en main, je ne savais pas trop s'il me plairait. J'aime les animaux, mais bon… et puis, en plus, une histoire d'orques…
Je l'ai refermé hier et je peux vous assurer que ce roman m'a marquée et totalement prise dans ses filets. C'est bien le cas de le dire, puisqu'il s'agit dans ces pages du sort des épaulards que les hommes arrachent à la mer, à leur clan, à leur famille, et dressent pour contenter le plaisir des spectateurs dans les parcs d'attraction marins.
Dresser. Comme mater, plier. Comme forcer un cétacé à faire docilement ce que l'on attend de lui pour amuser les gens.
L'auteure offre un récit original dans la mesure où elle donne la parole à Tilikum, une orque capturée en Islande, qui passera plus de 30 ans en captivité. Bien vite, le lecteur s'identifie à ce mâle, mais aussi à tous ses compagnons d'infortune. Car
Christine Ringuet sait nous faire entrer dans la peau de ses personnages (car ils sont bien des personnages à part entière, avec leurs sentiments, leurs peines et leurs brefs instants de joie). Et surtout, elle parvient à nous questionner : si nous devions subir l'enfermement dans un milieu qui n'est pas le nôtre et dont les codes, voire les « valeurs » sont différents, comment réagirions-nous ? Si nous étions considérés comme des êtres inférieurs mais infiniment utiles pour distraire la galerie et que nous devenions ainsi des « bêtes de foire » forcées à obéir en échange de nourriture, dans quelles souffrances survivrions-nous ?
C'est dans le huis clos d'un bassin que nous découvrons ainsi la vie de Tilikum et que nous plongeons dans la réalité de sa situation. Nous assistons aux amitiés, à la solidarité qui se créent entre lui et ses congénères, à leurs tentatives de rebellions. Nous sommes témoins des naissances des petits et … de leur séparation contrainte avec leurs mères. Nous suivons les séances de dressages et les spectacles qui donnent l'apparence, seulement l'apparence, qu'animateurs et animaux sont complices. Nous partageons aussi avec les orques, l'ennui qui accompagne leurs journées, leurs souvenirs des beaux océans, leur désespoir de condamnés à la solitude et à la privation de liberté.
Tilikum n'a qu'un objectif : faire comprendre aux spectateurs, au monde, la souffrance infligée à lui et à ses semblables dans les coulisses de ces beaux parcs lucratifs.
Roman émouvant, provoquant une vraie prise de conscience. Je vous jure que sa lecture a déclenché chez moi une remise en question, et je ne manquerai pas de sensibiliser mon petit-fils à ce sujet.