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Critique de Presence


Ce tome fait suite à Périple pour l'échafaud (épisodes 51 à 57). Il contient les épisodes 58 à 63, initialement parus en 2005, écrits par Brian Azzarello, dessinés et encrés par Eduardo RIsso, mis en couleurs par Patricia Mulvihill, avec des couvertures de Dave Johnson.

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Episode 58 "Coda smoke" - Mr. Shepherd passe un coup de fil à Lono qui est toujours en prison, en train d'entraîner Louis Hughes.

Cet épisode constitue la coda de l'histoire précédente "Périple pour l'échafaud" (titre évoquant Ascenseur pour l'échafaud de Miles Davis). Les pièces continuent de s'assembler, avec plusieurs révélations, certaines de grande ampleur (le fond de la relation entre Shepherd et Lono), d'autres plus anodines mais avec tout autant d'impact émotionnel (le prénom de Mister Shepherd). Lono vole à nouveau la vedette dans les scènes où il apparaît. Grâce à la complémentarité d'Azzarello et Risso, le lecteur ne regardera plus jamais une station service de la même manière, et il gardera à l'esprit qu'il peut s'agir d'un lieu de socialisation épatant.

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Épisodes 59 - Loops et Lono sont en route pour Chicago pour aller dire un petit bonjour à Victor Ray. Ce dernier s'apprête à profiter d'une petite gâterie réalisée par une certaine Christine. Dans le même immeuble, Wally est en train de se donner du courage pour utiliser une arme à feu. Épisodes 60 à 63 - Megan Dietrich arrive à Miami où elle retrouve Mister Branch à qui elle a une mission à confier. Elle est retrouvée par Cole Burns. Elle se rend à un entretien délicat avec Augustus Medici qui continue à tenir son fils Benito à l'écart des affaires. Pendant ce temps là, Spain (avec son avocat Terry, et son petit chien Cookie) s'organise une virée en ville, avec l'aide du garçon d'étage Tino qui a un fils Miguel d'une jeune femme Pearl qui l'a quitté pour Bosco un petit caïd local, dans le deal de dope.

Difficile de décrire le plaisir généré par la lecture de ces épisodes. D'un côté, le lecteur pourrait craindre une certaine forme de lassitude du fait du recours systématique à 2 récits en parallèle plus ou moins liés (au moins par l'unité de lieu) : Lono et Loop papotant avec Victor Ray / le soliloque de Wally trahissant un état mental désespéré, puis Megan Dietrich et les Medici / les tribulations de Spain et Tico. Pour l'épisode 59, Azzarello et Risso réussissent un petit miracle en 22 pages. le lecteur réapprend à connaître Lono : c'est toujours beaucoup plus éprouvant que prévu. Il est facile de se laisser charmer par ce personnage brutal, violent, plus fort que tout le monde, d'une virilité hors norme, d'une assurance sans égale. Mais les auteurs prennent le soin de montrer régulièrement qu'il s'agit d'un monstre d'une rare cruauté. le lecteur voit littéralement la nature de la relation entre Lono et Loop. Il peut également voir apparaître la personnalité de Victor Ray. Azzarello et Risso rendent visibles les rapports de force existants entre eux, ainsi que leurs fluctuations. Cet épisode fait avancer l'intrigue principale de manière significative. Enfin il s'agit d'une nouvelle d'une noirceur impitoyable, avec une fin aussi désespérée que cynique (le coup de départ). Risso fait à nouveau des merveilles pour faire apparaître l'état d'esprit des personnages sur leur visage, dans leurs attitudes, dans leurs gestes. Les dents blanches de Lono sur un visage entièrement dans l'ombre provoquent un frisson de répulsion incontrôlable.

Les épisodes 60 à 63 forment un récit tout aussi dense et intense que ce premier épisode. Azzarello et Risso font maintenant avancer leur intrigue principale à grand pas, les pièces du puzzle s'assemble, les machinations commencent à apparaître. Ils n'oublient pas les personnages, leurs personnalités, les coups de théâtre (personne n'est à l'abri), et la réalité de ce crime organisé aux différents échelons. En ça ils se montrent aussi habiles que Jason Aaron et RM Guéra dans la série Scalped (à commencer par Indian Country) : le crime n'est pas une idée abstraite, ou un concept désincarné. Les actions de tous ont des répercussions sur leur entourage. Tino (petit débrouillard qui arrondit ses fins de mois en procurant des choses aux clients) est déjà affecté par le crime (sa femme l'a quitté pour un dealer). Il n'y a aucun code de l'honneur, ou aucun respect entre fripouilles, tout est business et égo.

Au fur et à mesure de l'assemblage des pièces du puzzle, le lecteur prend conscience de la densité du récit, de sa planification à long terme et de la mécanique de précision qu'il représente. Azzarello raconte son histoire avec une élégance et une maestria hors du commun. Non seulement le lecteur est hypnotisé par cette machination d'une envergure étendue, sans jamais être perdu. Mais en plus, il continue de découvrir les personnages et de ressentir leurs émotions au travers d'éléments anodins ou inattendus. Je me suis surpris à sourire de contentement en apprenant enfin le prénom de l'agent Graves (prononcé par quelqu'un qui le connaît bien). La photographie d'Echo Memoria provoque également des réactions émotionnelles aussi importantes chez les personnages que pour le lecteur.

Eduardo Risso assure un spectacle toujours aussi intelligent et sophistiqué sur le plan narratif, en insérant quelques visuels qui marquent durablement le lecteur. Chaque page est inventive, soit dans sa mise en scène, soit pour plusieurs cases inoubliables. Comme toujours, Lono dégage un magnétisme animal qui fait qu'il accapare chaque scène dans laquelle il est présent. Les expressions de son visage sont à la fois naturelle et d'une expressivité qui fait froid dans le dos. Risso joue à merveille sur son ambiguïté : entre survivant plus fort que tout le monde, et tortionnaire impitoyable. Megan Dietrich dégage une forme de magnétisme, impossible de résister à son charme et à ses atouts physiques. Il est même agréable de retrouver la silhouette particulière de Mister Branch, et son air de résignation face à son avenir de plus en plus réduit. Les nouveaux personnages sont tout aussi réussis et pleins de personnalité que les autres, qu'il s'agisse de Spain, de Tino, ou même de Terry.

La force de conviction des dessins de Risso ne réside pas seulement dans la personnalité graphique des personnages, leurs actions dégagent la même puissance de conviction qu'il s'agisse d'un geste furtif (Christine redescendant sa robe après la gâterie, Branch et Burns déambulant en bord de mer), ou de l'action principale (Benito balançant sa raquette par terre, ou un homme nu la bave aux lèvres dans les couloirs d'un hôtel de luxe). En fait ce n'est qu'en feuilletant ces épisodes après les avoir lu, que le lecteur se rend compte qu'ils comprennent plus de 70% de discussions. À la première lecture, le plaisir de la découverte de cette intrigue intense éclipse tout le reste, autant les techniques narratives que la proportion de scènes d'action.

Avec ce tome, Azzarello et Risso prouvent que le récit peut encore gagner en intensité. L'histoire se poursuit dans Droit de succession (épisodes 64 à 69).
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