Le sonnet numéro 30 de William Shakespeare. Ces dix personnes vont apprendre par cœur ce sonnet. En fait, le spectacle ne finira que lorsque ces dix personnes sauront par cœur ce sonnet.
(Au public des gradins.) Vous pouvez aussi essayer d'apprendre, mais je vous demande de ne pas déranger les professionnels.
Bonsoir. Merci d'être là. Comme vous voyez, il y a dix chaises vides sur la scène. Je voudrais que dix spectateurs prennent place sur ces chaises. Avant que vous acceptiez mon invitation avec enthousiasme, je voudrais vous dire que ces dix spectateurs vont apprendre un texte par coeur. Un texte court, pas trop difficile, pas trop simple non plus. C'est un texte possible. Ces dix spectateurs n'auront pas à jouer la comédie. Ils n'auront rien à faire de particulier. Tout sera calme et normal. Moi aussi, je suis allergique au théâtre interactif. Je ne vais pas manipuler ces dix personnes et si je le fais, je le ferai doucement. Tandis que vous réfléchissez à mon invitation, je voudrais vous demander d'éteindre vos portables, si c'est possible. Et aussi, vous dire que le spectacle ne commencera que lorsque ces dix chaises seront occupées.
Merci.
Le poète russe Ossip Mandelstam, fut persécuté, emprisonné, torturé, et il mourut à Vladivostok. Les livres et les poèmes d’Ossip Mandelstam ont tous été confisqués. Alors son épouse Nadejda Mandelstam a appris chaque poème à dix personnes. Elle réunissait des amis, des inconnus dans sa cuisine et apprenait un poème d’Ossip Mandelstam à dix personnes en même temps, à chaque fois. Cela signifie qu’au bout de 60 poèmes six cent personnes les connaissaient par cœur. Et quand chaque personne ayant appris un poème dans la cuisine de Nadejda l’apprenait à dix autres personnes, le nombre augmentait incroyablement. Rien ne pouvait les toucher. Ces poèmes étaient sauvés. Cela me semble la forme de publication la plus profonde qui puisse être. La publication de l’âme humaine. Si dix personnes connaissant un poème par cœur, le KGB, la CIA ou la Gestapo ne peuvent rien faire. Ce poème survivra » (Tiago Rodrigues citant Georges Steiner).
Je pensais que Candida voulait se défaire des livres pour retarder la cécité, mais elle avait autre chose à me demander. Candida dit qu'elle veut apprendre un livre par coeur, qu'elle veut consacrer ce qui reste de sa vue pour apprendre un livre par coeur, un livre qui reste gravé dans sa mémoire, un livre qu'elle pourra lire mentalement quand se yeux lui manqueront.
En raison de mon travail de comédien, des textes sont entrés en moi, ils se sont installés et ne m'ont plus jamais quitté. Ce sont des occupants discrets qui habitent ma mémoire, mais qui peuvent être réveillés à n'importe quel moment.
Quand je fais comparoir les images passées
Au tribunal muet des songes recueillis
Je soupire au défaut des défuntes pensées
Pleurant de nouveaux pleurs les jours trop tôt cueillis
(retranscrit de mémoire)