AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de JulienDjeuks


Avec une surprenante clairvoyance, Jules Romain met en scène la grande dérive de la médecine, décrite et analysée par le philosophe Ivan Ilich (La Convivialité), près de cinquante ans plus tard… le service de santé, la médecine, progrès insoupçonnable, se transforme en marchandise ressentie comme nécessaire alors que superflue. C'est le passage d'une bourgeoisie marchande vendant cher ses produits ou services pour en tirer des bénéfices, au capitalisme moderne créant le besoin chez le consommateur, comme le dealeur fait naître la dépendance à son inutile produit. La marchandisation des médicaments par l'industrie pharmaceutique est bien-sûr souvent dénoncée mais le mérite est d'attaquer le médecin lui-même, figure pourtant respectable parmi les sages.
Avec cette pièce, l'auteur fait le lien avec les célèbres comédies de Molière et ses critiques du médecin et de son aura sociale qui fait que les malades, par peur de la mort, lui mangent dans la main, aussi bête, charlatan ou intéressé qu'il soit. La connaissance du patient sur son corps, sa parole et celle de ses proches, la médecine traditionnelle, sont niées, méprisées au nom d'une autorité scientifique reconnue (ce qu'Illich considère comme appropriation par un groupe social, par le biais du diplôme, d'un domaine de connaissance qui concerne pourtant tout le monde). Ici, la parole du malade est même utilisée pour identifier ses besoins : Knock écoute en bon médecin humaniste mais pour mieux manipuler (psychologie du publicitaire). le remplacement du médecin Parpalaid par Knock est comme une passe d'armes entre le médecin bourgeois - celui de Molière, de Flaubert - et un certain médecin capitaliste du XXe siècle, qui s'immisce dans les choix de mode de vie et de consommation des individus, les contrôlant par le chantage à la santé. À la manière du Tartuffe de Molière, Jules Romains ne critique pas tous les médecins mais son personnage est l'incarnation d'un envahissement du pouvoir médical dans la société, une dénonciation de ces faux médecins qui se servent de l'argument pieux de la santé.
Si le personnage principal n'est pas appelé « docteur Knock » par l'auteur, mais simplement « Knock », c'est sans doute qu'il n'en mérite plus le titre. « to knock » en anglais signifie frapper, cogner. Par sa rhétorique malicieuse, Knock fait entrer, pénétrer l'inquiétude et l'enfonce profondément comme un clou dans la moelle de ses patients-clients. Knock est un personnage machiavélique et bien plus immoral que le bourgeois intéressé. Comme un marabout, un sorcier, le gourou d'une secte, comme une institution religieuse, il fait naître une croyance et une dépendance chez les gens qu'il est en charge de protéger. Il les manipule par les peurs : peur de la mort, peur de tomber malade, peur de la douleur physique, peur de ne pas bénéficier de quelque chose à quoi ils ont droit, la santé, les performances du corps, peur de louper une occasion, emploi ou rencontre amoureuse, peur de ne pas être un gagnant, de ne pas apparaître en forme, peur d'être rejeté… Illich remarque que se soigner, être en forme, en profitant de la médication dernier cri, est devenu une obligation sociale (votre employeur vous en voudra de rester cloué au lit deux semaines pour une grippe si un médicament vous permet d'être opérationnel en deux jours). La peur est une arme de manipulation, celle de la parole autoritaire. Knock utilise à son avantage l'hôtel voisin, vampirise la ville et ses politiques. Il se tourne pour la suite de sa conquête carriériste vers la grande ville de Lyon… D'une manière similaire, l'argument de la santé publique est devenu une arme des gouvernements pour faire passer des mesures politiques idéologiques et faire obéir les peuples : qu'on pense évidemment aux questions des pandémies et à l'état d'exception qui en découle, mais plus encore au chantage perpétuel à la Sécurité sociale, à la retraite… Pour préserver notre chère solidarité nationale, donc votre bonne santé, il faut absolument…
Lien : https://leluronum.art.blog/2..
Commenter  J’apprécie          72



Ont apprécié cette critique (7)voir plus




{* *}