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Critique de AnnaCan


« Un grand silence gêné suivi de rien, un peu comme si j'avais prononcé une grossièreté, comme si poussée par la désespérante volonté de ramer à contre-courant, j'essayais de donner de l'importance à ce qui, pour tous, semblait futile, un grand silence a ponctué mes essais de parler de l'Afrique. »

Ce livre de mémoires, écrit à des décennies de distance, est une réponse éclatante au grand silence qui accompagna les tentatives de Francine de mettre en mots ce qui constitua pour elle une expérience primordiale, fondatrice et inoubliable. C'est l'amour qui l'a d'abord menée en Afrique. L'amour pour Yenoth, un étudiant gabonais rencontré sur les bancs de l'université, qui s'est mué en amour pour son pays, où elle fut reçue de longs mois deux années de suite par des gens simples avec lesquels elle sut nouer un lien fort et durable. C'était au début des années 70, et lorsque Francine pose pour la première fois son pied sur le sol africain, à Libreville, elle est frappée par l'évidence, celle de se retrouver chez soi, celle de renaître « dans une matrice originelle et sécurisante. » :
« Plus que tout, je ressens une sorte de connivence secrète, une acceptation totale, une correspondance absolue avec cette culture que je connais parce que mon mari qui y est né m'en a longuement parlé. Je retrouve mes origines, celles de l'humanité, je retrouve ce que j'ai toujours voulu vivre. Pourquoi ? Je ne sais pas, c'est ainsi. »

Sur le chemin qui la mène de Libreville à Port-Gentil, puis au village de Yombé II où elle fait la connaissance de sa belle-famille, Francine se déleste de toutes ces choses futiles qui encombrent nos existences, maquillage, crèmes, chaussures, vêtements, ainsi que de sa montre qui scande inutilement les heures dans un pays où le temps ne se découpe pas en tranches, mais se vit.

« La nuit nous tombe dessus, sans prévenir, nous enroule dans sa douceur, puisque nuit ne veut pas dire froid. Les nuits sont chaudes ici. Je prie à la vue de cette splendeur, prière spontanée, sans autre but que de dire merci. le matin, j'assiste, aussi minuscule qu'une fourmi, à la création du monde dont l'immensité se déploie, se multiplie, se colore en une incroyable variété de tons roses, bleus et violets, en un sans fin de nuances se mariant entre elles. »

À cette expérience liminaire, à cette immersion dans une vie villageoise et familiale blottie sur un banc de sable coincé entre le fleuve Ogooué et la forêt tropicale où il est interdit de pénétrer, en succède une autre seize ans plus tard, bien différente, en Guinée Équatoriale, un des pays les plus pauvres du monde où elle se rend pour raisons professionnelles. Pas de famille africaine cette fois pour l'accueillir en son sein, mais l'Afrique des blancs, un monde confiné et à part, douteux mélange de ragots, de condescendance et d'ignorance, relevé d'une pincée de corruption avec, Dieu merci, quelques personnes, comme elle authentiquement désireuses d'apprendre et d'aider au développement du pays.
S'appuyant sur ses expériences et impressions personnelles ainsi que sur ses nombreuses lectures, aiguillonnée par un inassouvissable désir de comprendre et de transmettre, Francine nous livre une multitude d'informations sur l'Afrique de l'Ouest — historiques, politiques, culturelles — qui constituent de précieuses clés d'analyse pour les lecteurs qui, comme moi, ne connaissent l'Afrique qu'au travers de ses clichés les plus éculés : épidémies, malnutrition, guerres ethniques…

Nous faisant part de ses questionnements et de ses doutes avec la franchise et l'honnêteté qui la caractérisent, Francine nous invite à réfléchir. Ainsi lorsqu'elle s'interroge sur le supposé fatalisme africain susceptible d'expliquer des siècles de sévices, j'y ai vu un écho d'une réflexion que Karen Blixen nous livre dans La ferme africaine :
« Ils considèrent comme naturel que la plupart des hommes soient capables de tout et il est impossible de les offenser, même en le cherchant. Un Kikuyu qui serait sensible à la manière dont d'autres personnes le traitent serait considéré comme mauvais, dégénéré ou fou — cela reviendrait à juger la vie ou Dieu en fonction du temps qu'il fait. »

Si Francine reste très pudique sur ses sentiments, l'émotion pourtant, nimbée de la nostalgie de ce qu'elle a aimé et perdu à jamais, irradie chaque page de son livre. J'y ai lu un amour infiniment reconnaissant, loin de tout lyrisme, pour l'Afrique et pour ceux qui la peuplent, pour ce que ce continent « dansant sur le passé et tourné vers l'avenir » lui a donné : ses racines.
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