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EAN : 9798377764359
172 pages
Auto édition (07/04/2023)
4.37/5   31 notes
Résumé :
Vous est-il déjà arrivé de découvrir, par hasard, que l’endroit où vous êtes né importe peu et que des racines plus profondes, des correspondances, ainsi que le sentiment d’appartenir à une autre société, d’y revenir ou d’y renaitre primait ?
Les expériences que j’ai vécues au Gabon en 1972 et 1973 et en Guinée Équatoriale de 1989 à 1994 me le feraient croire, bien que la distance, la non compréhension des rites et des croyances, ma révolte devant la mort d’u... >Voir plus
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Bravo Francine ! Vraiment Bravo !
Babelio cache des talents insoupçonnés, et afriquaeh, notre Francine en est un que je découvre à mon grand plaisir, en plus une histoire autobiographique, instructive, foisonnante de citations littéraires intéressantes et tout cela racontée avec beaucoup de sincérité et d'humour, d'une prose simple et naturelle.

Francine nous ouvre son coeur sur cette vie passée en Afrique, « un véritable océan, une planète à part, un cosmos hétérogène et immensément riche…. », où elle atterrira suite à son mariage avec un étudiant gabonais , rencontré sur les bancs de la fac en France. Ce qui est intéressant et émouvant est son approche naturelle à un nouveau pays aux vies, us et coutumes totalement différents du pays d'où elle arrive, où l'argent , confort et autres gadgets de la civilisation occidentale sont quasi inexistants. Pourtant ces us et coutumes de retour en France ne seront plus aussi intéressantes et pratiques à vivre…..

La forme subtile et nette est découpée en chapitres , dont chacun débute par une citation superbement choisie qui reflète le pitch de son sujet précis se référant à la vie sociale, l' histoire, les coutumes et les conditions de vie souvent assez tragiques du Gabon et de la Guinée Équatoriale, deux pays sous le joug de la dictature et de la corruption que je ne connais pas du tout. Elle nous y détaille ses expériences, ses ressentis dans et sur ces pays en l'enrichissant avec détails et explications de teneur très instructive.
Un aperçu lumineux de l'Afrique d'une touche très personnelle.

Pour terminer une citation du livre,
« Seul celui qui envisage son projet comme une entreprise toute naturelle et non comme une entreprise extraordinaire, qui ne fait pas étalage de sentiments d'héroïsme, mais connaît seulement le devoir accepté dans un enthousiasme calme et sans illusions, est capable de devenir un de ces aventuriers de l'esprit dont le monde a besoin. »
Albert Schweitzer
Cela te correspond chère Francine ; humilité, générosité, honnêteté et intelligence sont pour moi les quatre qualités primordiales chez une femme et un homme, tu les possèdes toutes. J'adore aussi comment tu glisses entre les lignes tes mariages ( spéciales 😊) et ton divorce comme des faits banales de la vie courante, « Mon mari (car j'ai rencontré l'homme de ma vie, un Andalou, nous nous sommes mariés, je le raconterai par la suite) »😁 , Merci.
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Quelles sont vos troublantes racines, à vous ? Celles que vous ressentez confusément, très intimement, indépendamment de votre lieu de naissance, celles que vous choisissez, attirés irrésistiblement par un territoire, un peuple, une culture…un entrelacement de racines ataviques et de racines culturelles, frémissantes de vie, d'évidence, de désir et d'attraction difficilement explicables, des attaches indicibles ne correspondant pas toujours au lieu où nous sommes nés. Francine Romero, dont les troublantes racines sont africaines, nous l'explique dans ce beau récit autobiographique.

Qu'il est délicat de faire une « critique » sur un livre dont l'auteure est une amie ici sur Babélio. Même lire le livre n'a pas été si aisé, j'avais peur de ne pas aimer, un peu gênée aussi de découvrir cette autobiographie dans laquelle cette amie littéraire se dévoile. J'ai procrastiné, un peu, avant de me lancer. Et j'ai beaucoup aimé. Voilà un récit tout bonnement fascinant et je comprends à présent tellement mieux la passion de Francine pour l'Afrique, au point d'ailleurs d'avoir choisi pour pseudo @Afriqueah. J'ai tellement aimé que la fin m'a laissée sur ma faim : pourquoi pas une troisième partie sur les centres culturels de Niamey et Zinder ? Hein, pourquoi Francine ?
Il faut dire que je me suis régalée de ces deux parties, deux immersions de l'auteure en terres africaines, plusieurs chapitres dans chacune des parties démarrant par une citation bien choisie en lien avec le propos du chapitre, suivies, dans le corps du texte, par des allusions littéraires nombreuses qui viennent compléter élégamment l'expérience et les ressentis de l'auteure. C'est à la fois du vécu (et nous apprenons plein de choses dont le fameux « Poulet bicyclette ») mais aussi érudit, un récit joliment équilibré.

Deux parties donc, pour deux cultures africaines. Celle du Gabon d'une part durant les années 1972 et 1973, celle de Guinée équatoriale d'autre part de 1989 à 1994. Deux parties pour deux façons bien différentes d'approcher l'Afrique. La première en tant qu'épouse d'un Gabonais, la deuxième en tant qu'expatriée à un poste dans deux Centres culturels. A l'Afrique intime et quasi anthropologique de la première partie succède l'Afrique foutraque et humaine, bassement mais aussi joliment humaine de la seconde partie. Deux tons. Deux types de racines. Racines ataviques, racines culturelles. de troublantes racines dans tous les cas pour cette femme indépendante, libre, érudite, courageuse !

Racines ataviques, ancestrales, innées, celles des origines, berceau de l'humanité, dans une première partie. Des racines comme retrouvées aussitôt arrivée en terre africaine.
« L'évidence, lorsque nous arrivons, me tombe dessus, comme si tout ce que j'avais pensé jusque-là, toutes mes actions, tout ce que j'avais désiré sans le savoir, se trouvait magiquement sur un plateau de bois précieux. Dès les premières marches descendues depuis l'avion, le sentiment de retrouver un monde connu me gagne (…) Plus que tout, je ressens une sorte de connivence secrète, une acceptation totale, une correspondance absolue avec cette culture que je connais parce que mon mari lui y est né m'en a longuement parlé. Je retrouve mes origines, celles de l'humanité, je retrouve ce que j'ai toujours voulu vivre ».

Francine va vivre dans le village natal de son mari, au sein même de la famille de celui-ci, apprenant à se délester du superflu, à se soucier seulement du moment présent, à vivre simplement, à faire avec une flore et une faune flamboyante, au sein de la forêt équatoriale notamment, foisonnante et dangereuse. A faire avec et à la ressentir, au point de comprendre pourquoi cet univers, si profond, soit devenu le refuge des esprits. Nous sentons à quel point l'auteure observe mais surtout ressent l'Afrique, s'immerge corps et âme sans rester sur le rivage, sans être uniquement observatrice, elle est totalement unie à la nature et aux villageois par « le lien de l'humanité heureuse et souffrante, vivant en vérité, ne demandant rien d'autres que ce qu'ils ont », au point de se sentir noire dans ce village gabonais. Elle fait preuve d'humilité, de respect, ne juge jamais, admire ces personnes, notamment les femmes rencontrées avec lesquelles se développe une touchante sororité. Elle se fond dans cette vie dans ce qu'elle a de plus précaire et de plus simple. J'ai trouvé cette partie particulièrement apaisante dans son dépaysement, belle dans sa frugalité, touchante dans l'immensité ressentie, ce « sentiment océanique » évoqué qui fait qu'au-delà de notre statut d'humain nous nous fondons pour faire partie d'un tout. Cet aspect est très bien rendu.

« J'écris pour raconter ces mois passés, le bonheur de me réveiller sur ma natte, dans une hutte construite avec des piliers de bois et un lacis de feuilles de palmiers tressés, entre eux, le bonheur d'être là tout simplement. Bonheur simple, marcher sur le sable roux, parler avec mes belles-soeurs, qui, elles, bavent sur la France, bonheur paisible et monotone aussi du travail des champs, conclu par un somptueux coucher de soleil aussi rapide que multicolore ».

Malgré cette racine atavique ressentie avec évidence, force est de constater qu'elle n'est pas totalement des leurs, comme le prouveront sa mise à l'écart lors de la cérémonie mortuaire de la petite Anina, source d'un magnifique chapitre sur les différences de perception de la mort entre les deux cultures, un chapitre qui m'a interpellée et émue, ainsi que le retour en France où le décalage culturel avec son mari posera problème.
« Ces mois passés au Gabon m'ont à la fois réunie dans la simplicité des actes de tous les jours, donné le sentiment d'appartenir à cet univers, et insidieusement fait mesurer une différence indéniable ».

Racines construites dans la seconde partie, choisies, davantage culturelles, comme ancrages sur un territoire pour mener à bien une mission. Une source d'ouverture et de compréhension au monde, un défi dans un pays dictatorial dangereux, une volonté de retrouver ce territoire tant aimé. Francine pourrait faire sienne cette splendide citation de Karen Blixen qui ouvre un des chapitres :
« La rencontre que j'ai faite en Afrique d'une race essentiellement différente de la mienne a contribué puissamment à l'heureuse expansion de mon univers. La tendresse est née entre nous au premier regard ».

A la simplicité presque naïve (au sens pur) de la première partie, l'auteure oppose la compréhension du dessous des cartes de la gouvernance africaine. La corruption des classes dirigeantes, celle des fonctionnaires, l'exploitation du pays par d'autres pays et par des multinationales, mais aussi les abus de certains expatriés sont narrés parfois avec virulence et même une véritable colère. Cette Afrique des blancs qui engendre des attitudes méprisables. Mention spéciale à un des directeurs du Centre qu'elle rhabille pour l'hiver, ces quelques lignes sur le monsieur sont un truculent et savoureux exutoire.

« Un des directeurs du Centre est un pourri, un gros bouffi affreux qui présente un ventre saillant à travers les pans de sa chemise prête à péter les boutonnières, semblable à s'y méprendre à un des personnages (figure récurrente de certains blancs) de Mongo Beti dans Trop de soleil tue l'amour ou de Gil Courtemanche dans Un dimanche à la piscine à Kigali. Il a inventé un système imparable et que moi comptable, qui pourtant l'ai à l'oeil, ne peut contrecarrer »…

Tout au long du livre, nous apprenons une foultitude de choses sur les maladies, la mort, la sorcellerie, les mets culinaires, l'hygiène, l'histoire coloniale des deux pays, la politique, les différentes tribus, les us et coutumes…C'est érudit sans jamais être pédant, c'est beau sans jamais tomber dans le pathos. D'ailleurs, il y a une pudeur telle dans ce récit que le drame est juste évoqué, glissant, l'air de rien, au détour d'une phrase, sans s'étaler, alors que nous devinons combien ce malheur a dû être profond, que le bonheur notamment conjugal est simplement relaté. Pudeur donc, humanité, sincérité, authenticité, ouverture d'esprit et esprit critique, grande liberté, ainsi sont serties les racines africaines de Francine qui m'ont joliment troublée. Merci à toi Francine et, très sincèrement, bravo !

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Troublantes Racines - Francine Romero - Récit autobiographique - Lu en août 2023.

Lu entièrement le 15 août, sans pouvoir m'arrêter.

Je vais commencer par quelques citations du prologue que j'aime énormément :

"J'écris pour avoir la force de vivre le pays des solitudes, le pays métis...
J'écris parce que la vie me déroute, j'écris parce que j'ai peur de la mort.
J'écris pour mieux comprendre autrui, j'écris pour me comprendre.
J'écris pour me racheter" Birago Diop

Francine (Afriqueah sur Babelio) a écrit le récit et les ressentis de ses années passées entre le Gabon et la Guinée Équatoriale pour assurer la gestion comptable de deux Centres Culturels, nommée par le Ministère de la Coopération .

Francine a hésité longtemps avant de se lancer, elle rencontre Pierre Duchesne auteur d' Une année au Cameroun et là, c'est le déclencheur, Francine s'y met et c'est génial, elle "ressent une urgence d'écrire deux de ses expériences africaines".

Ses souvenirs personnels sur sa découverte de l'Afrique, l'histoire de cette Afrique, le passé et le présent moins glorieux.

Divisé en deux parties, son récit débute avec sa rencontre avec Yenoth, étudiant gabonnais, à Lille lors de ses études. Un mariage, un petit garçon.


Et les voilà partis dans le pays de son mari où Francine va découvrir le Gabon , terre d'Afrique dont elle se sent immédiatement en symbiose, "plus que tout je ressens une connivence secrète... je retrouve mes origines, celles de l'humanité"

Atterrissage à Libreville.

Port-Gentil, une autre étape, rencontre avec la famille de son mari, oncles, tantes, cousins-ines... une grande famille, autour de repas bien de là-bas où elle est bien accueillie. Francine se délaisse du superflu, découvre que le temps en Afrique n'a pas la même durée qu'en Europe, il passe, c'est tout. Elle se débarrasse de sa montre, elle n'en portera jamais plus.
Et puis, le périple pour arriver dans le petit village de Yombé II au bord du fleuve Ogooué en pirogue, traversée de l'immense et dangereuse forêt équatoriale. Moyen de communication, le tam-tam. Découvertes des coutumes, de la culture, de la nature foisonnante, des couleurs, des odeurs, tous les sens sont en éveil quand on découvre l'Afrique et ça ne s'effacera jamais. Découvertes aussi des différentes ethnies, pas toujours amies !
Découverte d'une appartenance à la famille, d'une chaleur humaine d'une entraide.
Dans les petites plantations de manioc, ce sont les femmes qui travaillent "ce sont les femmes africaines qui portent le Continent sur leur tête" écrit Henning Mankel cité par Francine. Elles portent sur leur tête des kilos de racines de manioc avec une dignité et un port de reine inégalable. La polygamie est normale là-bas à cette époque. Pour se nourrir, c'est la chasse, la pêche, la culture du manioc, le petit élevage. Pas de réserve puisque pas de frigo.
J'ai adoré le passage sur les éléphants, Francine en parle comme personne. Les insectes grouillent en Afrique, on s'habitue.
Une infirmerie rudimentaire, sans médicament exceptés des antiseptiques. La lèpre, la bilharziose, le paludisme, la fièvre jaune ... sont des fléaux.
Les rituels de la mort, les esprits, les guérisseurs, les sorciers ou sorcières, les désenvoûtements, les confréries secrètes, les initiations rites de passage occultes.

Un peu d'histoire dans le récit de Francine, les invasions, les colonisations, la traite des esclaves, les Pygmées, le pétrole, l'entrée du Gabon dans l'OPEP, la crise de 1973, l'entrée de l'Islam.
Retour à Lille où Francine découvre un autre homme en son mari, c'est la fin de leur union.
Et puis, La Guinée Équatoriale 1989-1994, Francine fait ses adieux à son père, elle n'est pas sûre de le revoir, c'est dur. Elle s'en va avec sa fille Inès, son fils qui doit passer son bac sera pensionnaire.
L'installation à Malabo n'est pas de tout repos, alimentation en eau déplorable...
La dictature est au pouvoir, la méfiance règne, on ne dit pas ce qu'on pense, c'est dangereux. le meurtre barbare d'un coopérant, ami de Francine.
Le pétrole toujours, objet de convoitise provoque bien des malversations, le scandale des déchets nucléaires.
La corruption règne en maîtresse "la vénalité des politiciens, la cupidité des fonctionnaires et des flics et les expatriés qui ne sont pas tous des parangons de vertu."

Francine fait la rencontre de "l' homme de sa vie" un Andalou avec lequel elle se marie. Elle est heureuse.

D'aventures en aventures, Francine nous fait découvrir une vie mouvementée, avec ses grandes joies, ses petites et grandes peines, ses désillusions aussi, mais toujours cet énorme amour de la vie.

L'Afrique, Francine l'a dans le sang, dans les tripes, elle repartira travailler à Niamey capitale du Niger et à Zinder.

C'est une belle histoire que celle de Francine, un témoignage passionnant d'un vécu bourré d'anecdotes, avec en toile de fond l'histoire de cette Afrique si convoitée pour ses richesses, un peuple maltraité par ses dirigeants corrompus et avides de pouvoir.

Une Afrique qui reste tellement présente dans le coeur de ceux et celles qui y ont vécu et qui ont dû la quitter malgré eux pour des raisons de sécurité. C'est ce que mes parents, mes frères et soeurs ont été obligés de faire en 1960 lors de l'indépendance du Congo. Mais comme Francine, l'Afrique est quelque part dans mon coeur, inoubliable.

Francine a mis tout son coeur dans ce récit, toutes ses émotions, et la lire a été un formidable plaisir, je vous recommande de lire son aventure, vous ne pourrez pas rester indifférents , en toute honnêteté, parce que vous pourriez croire qu' étant une amie babéliote je ne peux que dire du bien de son récit, mais non, il en vaut la peine, d'ailleurs lisez-le, vous vous ferez votre propre opinion et je serai heureuse et curieuse de la découvrir.

Un tout grand merci Francine, et pourquoi pas ton passage au Niger dans un prochain livre ?

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« Un grand silence gêné suivi de rien, un peu comme si j'avais prononcé une grossièreté, comme si poussée par la désespérante volonté de ramer à contre-courant, j'essayais de donner de l'importance à ce qui, pour tous, semblait futile, un grand silence a ponctué mes essais de parler de l'Afrique. »

Ce livre de mémoires, écrit à des décennies de distance, est une réponse éclatante au grand silence qui accompagna les tentatives de Francine de mettre en mots ce qui constitua pour elle une expérience primordiale, fondatrice et inoubliable. C'est l'amour qui l'a d'abord menée en Afrique. L'amour pour Yenoth, un étudiant gabonais rencontré sur les bancs de l'université, qui s'est mué en amour pour son pays, où elle fut reçue de longs mois deux années de suite par des gens simples avec lesquels elle sut nouer un lien fort et durable. C'était au début des années 70, et lorsque Francine pose pour la première fois son pied sur le sol africain, à Libreville, elle est frappée par l'évidence, celle de se retrouver chez soi, celle de renaître « dans une matrice originelle et sécurisante. » :
« Plus que tout, je ressens une sorte de connivence secrète, une acceptation totale, une correspondance absolue avec cette culture que je connais parce que mon mari qui y est né m'en a longuement parlé. Je retrouve mes origines, celles de l'humanité, je retrouve ce que j'ai toujours voulu vivre. Pourquoi ? Je ne sais pas, c'est ainsi. »

Sur le chemin qui la mène de Libreville à Port-Gentil, puis au village de Yombé II où elle fait la connaissance de sa belle-famille, Francine se déleste de toutes ces choses futiles qui encombrent nos existences, maquillage, crèmes, chaussures, vêtements, ainsi que de sa montre qui scande inutilement les heures dans un pays où le temps ne se découpe pas en tranches, mais se vit.

« La nuit nous tombe dessus, sans prévenir, nous enroule dans sa douceur, puisque nuit ne veut pas dire froid. Les nuits sont chaudes ici. Je prie à la vue de cette splendeur, prière spontanée, sans autre but que de dire merci. le matin, j'assiste, aussi minuscule qu'une fourmi, à la création du monde dont l'immensité se déploie, se multiplie, se colore en une incroyable variété de tons roses, bleus et violets, en un sans fin de nuances se mariant entre elles. »

À cette expérience liminaire, à cette immersion dans une vie villageoise et familiale blottie sur un banc de sable coincé entre le fleuve Ogooué et la forêt tropicale où il est interdit de pénétrer, en succède une autre seize ans plus tard, bien différente, en Guinée Équatoriale, un des pays les plus pauvres du monde où elle se rend pour raisons professionnelles. Pas de famille africaine cette fois pour l'accueillir en son sein, mais l'Afrique des blancs, un monde confiné et à part, douteux mélange de ragots, de condescendance et d'ignorance, relevé d'une pincée de corruption avec, Dieu merci, quelques personnes, comme elle authentiquement désireuses d'apprendre et d'aider au développement du pays.
S'appuyant sur ses expériences et impressions personnelles ainsi que sur ses nombreuses lectures, aiguillonnée par un inassouvissable désir de comprendre et de transmettre, Francine nous livre une multitude d'informations sur l'Afrique de l'Ouest — historiques, politiques, culturelles — qui constituent de précieuses clés d'analyse pour les lecteurs qui, comme moi, ne connaissent l'Afrique qu'au travers de ses clichés les plus éculés : épidémies, malnutrition, guerres ethniques…

Nous faisant part de ses questionnements et de ses doutes avec la franchise et l'honnêteté qui la caractérisent, Francine nous invite à réfléchir. Ainsi lorsqu'elle s'interroge sur le supposé fatalisme africain susceptible d'expliquer des siècles de sévices, j'y ai vu un écho d'une réflexion que Karen Blixen nous livre dans La ferme africaine :
« Ils considèrent comme naturel que la plupart des hommes soient capables de tout et il est impossible de les offenser, même en le cherchant. Un Kikuyu qui serait sensible à la manière dont d'autres personnes le traitent serait considéré comme mauvais, dégénéré ou fou — cela reviendrait à juger la vie ou Dieu en fonction du temps qu'il fait. »

Si Francine reste très pudique sur ses sentiments, l'émotion pourtant, nimbée de la nostalgie de ce qu'elle a aimé et perdu à jamais, irradie chaque page de son livre. J'y ai lu un amour infiniment reconnaissant, loin de tout lyrisme, pour l'Afrique et pour ceux qui la peuplent, pour ce que ce continent « dansant sur le passé et tourné vers l'avenir » lui a donné : ses racines.
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Comment aurais-je pu deviner que l'amie qui était en train d'admirer une toile de Joan Mitchell, avait été une aventurière et qu'elle avait aimé un bel étudiant Gabonais au point de quitter son confort occidental pour partir à la découverte de sa nouvelle famille.

Une personne à la générosité telle, qu'elle est parvenue à accueillir des us et coutumes très éloignés de son mode de vie occidental, sans jugement, en toute simplicité, afin de se fondre dans le creuset de cette nouvelle vie au Gabon et de partager le quotidien du village.

Et c'est son récit chaleureux qui donne toute la valeur de ce livre, cet amour d'une terre qu'elle a peut-être connue dans une autre vie au point d'avoir eu le sentiment de retrouver ses racines ; mais Lucy n'est-elle pas à l'origine du rameau humain, l'Afrique ne serait-il pas le berceau des représentants de notre espèce, un retour aux origines en quelque sorte qui pourrait lui donner ce sentiment d'appartenance du temps où nous étions des australopithèques.

Un livre qui dispose d'un prologue magnifique de Birago Diop, ne pouvait qu'être écrit par une femme de coeur. Chaque chapitre se voit doté d'une très belle citation en rapport avec le thème.

Le voyage peut alors commencer. L'avion décolle de Paris en partance pour Johannesburg via Libreville. Atterrissage à Libreville, nous sommes en 1972, commence alors l'aventure avec la rencontre d'un « mamba noir », un serpent qui peut vous tuer en quelques secondes. le ton est donné, il fait chaud, nous sommes bien en Afrique et la montre n'est plus d'aucune utilité.

Port-Gentil avec la présentation des oncles et des tantes et ensuite remonté du mythique fleuve Ogooué en pirogue à moteur à destination du village où l'authenticité est au rendez-vous ainsi que la chaleur humaine.

L'adoption s'effectue chaque jour un peu plus tout en participant aux travaux habituels. J'ai aimé accompagner ces femmes à travers la plume de Francine, je les ai visualisées :

« Je revendique aussi de partir avec elles au petit matin, l'une derrière l'autre, jusqu'au fleuve, le long d'un sentier étroit créé dans la brousse au fur et à mesure de notre avancée, puis en pirogue, puis de nouveau l'une derrière l'autre, chacune portant sur la tête les plats que nous allons manger à midi, et tenant à la main les machettes qui vont nous servir à débroussailler. Germaine allie une démarche de déesse à une silhouette longiligne digne d'un mannequin, elle enroule un lourd pagne au-dessus de sa tête pour y poser les plats avec un remarquable équilibre »

Ce village vit au jour le jour avec le souci de se nourrir au quotidien, à l'abri des grands arbres qui sont plantés là, nourriciers et protecteurs, pour les familles des alentours. Il faut apprendre à vivre en défiant la mort, les maladies, le paludisme notamment, les rats, les mouches, c'est particulièrement impressionnant cette insolence constante que lancent les humains à la nature environnante.

Tous ces villageois sont magnifiquement évoqués. On se sent relié à chacune de leur personnalité et la conscience "d'être" prend tout son sens loin du verbe avoir.

« Puis Papa Mandembi, un autre oncle à la barbe blanche qui habite un village de l'autre côté du fleuve, le traverse en pagayant debout, royal, superbe, inoubliable vision, pour rendre hommage à notre fils, son homologue de deux ans. Dans l'émotion générale, il a offert un coq vivant, en le tenant par les pattes, au petit garçon à qui nous avons donné le même nom que lui, comme pour l'assurer par ce choix d'être certain qu'il ne va pas mourir tout à fait ni disparaitre intégralement de la terre ».

Le chapitre sur les rituels de deuil, sur les guérisseurs, les confréries, la forêt et ses esprits qui convoquent le surnaturel, sont captivants. Ils nous enseignent, autant que possible, sur toutes ces traditions qu'il nous faut respecter et qui ont forgé le peuple Bantou, installés sur les rives du fleuve l'Ogooué ; ce fleuve précédemment emprunté par le Docteur Albert Schweitzer en 1913, qui le mènera en forêt équatoriale pour y installer son hôpital.

J'ai beaucoup aimé ce premier séjour au Gabon bien qu'il se soit terminé par un divorce mais aussi avec deux très beaux enfants. Dans un couple, chacun apporte une part de lui-même façonnée par sa culture, son éducation. Dès l'instant où les désillusions dessillent nos yeux, il devient difficile de rester uni, main dans la main.

La deuxième partie du livre s'attache au séjour de Francine dans la Guinée Equatoriale, de 1989 à 1994 où elle a été mutée, et qui est un des pays les plus pauvres du monde et ancienne colonie espagnole. de son poste et durant cette période, son regard a le temps de noter toutes les défaillances, les irrégularités, qui gangrènent ce petit pays. Cette partie jette un coup de projecteur sur les malversations, la dictature, l'Afrique des blancs, le pétrole. Mais il n'y a pas qu'un constat négatif, il y aura, là aussi, une belle rencontre amoureuse.

J'ai été fascinée par cette lecture qui m'a rappelée les récits de ma grand-mère qui a vécu dix ans en Afrique où une partie de ma famille s'était installée. Elle avait un amour immense pour ce continent et en lisant ces chapitres, je revivais les souvenirs de mamie. Longtemps l'Afrique fut pour moi comme un appel auquel je n'ai pu répondre si ce n'est qu'au travers de mes échanges avec mes amis d'origine africaine qui ont eu la gentillesse de m'inviter à des soirées culturelles, me donnant le sentiment de voyager un peu.

Je termine l'année 2023 en rédigeant ce retour de lecture d'un récit emprunt de tendresse pour le continent africain même si celui-ci est immense et qu'on ne peut généraliser. Francine Romero @Afriqueah, nous offre un beau cadeau, la découverte d'une part importante de ce qui a été son histoire personnelle.
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Citations et extraits (43) Voir plus Ajouter une citation
Elle tremble en touchant mon bras. Mon mari, ensuite, me dit qu’elle a revécu les frissons de ses ancêtres quand ils ont vu les premiers Blancs, les croyant sans peau, ou avec la peau récurée, ou encore revenant de chez les morts, parachutés après cinq cents ans sans prévenir. Oui, il y a de quoi avoir peur, à la vue de ce fantôme plus angoissant encore puisque je suis la seule blanche à avoir mis le pied dans ce village, et que très certainement aucun de ses aïeux n’a vu de blancs au cours des siècles. Et de plus, sans le vouloir, je suis la seule blanche à assister à cette cérémonie de guérison.
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Nous nous reposons dans la cale et ce n’est qu’en revoyant en pensée cet intérieur de bateau en bois et en écrivant ces souvenirs, que je pense aux autres cales qui avaient transporté des esclaves.
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Les femmes du Djembé d'abord :

Le Djembé serait une sorte de syndicat contre l'élément mâle. Son rôle est de faire pendant au préexistant Bwiti, société secrète des hommes permettant d'asseoir l'ordre social en s'assurant l'obéissance des femmes, des enfants et des esclaves. Les femmes, comme une revanche, et cependant toujours selon le même principe de société secrète, acquièrent le pouvoir de contrer l'appétit de puissance de leurs hommes. L'initiation des jeunes filles se fait dans les bois et revêt un caractère effrayant ; il s'agit d'éprouver si ces futures initiées peuvent supporter la douleur, consistant entre autres en des incisions au rasoir sur les cuisses, en frottements du corps avec des orties, en tatouages spéciaux. On ne connait pas très bien ces séances nocturnes, il semblerait tout de même que les jeunes filles, en âge de se marier, soient initiées au secret de l'amour ou, pour parler plus vrai, du sexe. Ces secrets ne peuvent être dévoilés sous peine de mort.

Ce que j'ai vu au village n'était donc pas une séance de guérison mais, bien au contraire, une séance d'initiation à la société du Djembé.

page 69
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Je pleure lorsque je vais annoncer la nouvelle à mon père, je ne sais pas si c'est la dernière fois que je vais le voir, si je le reverrai, s'il vivra ses derniers jours en déplorant le fait de ne pas m'avoir à ses côtés et si je ne risque pas de regretter la rupture géographique avec cet homme que j'aime. Je reste digne devant lui, qui m'accompagne jusqu'à ma voiture, je vois ses yeux bleus, je l'aime, je me sépare de lui. Grand seigneur toujours respectueux de ma liberté il me dit : c'est ta vie, vas-y. Et je sanglote en conduisant la voiture quand il ne peut plus me voir. Non seulement j'y vais mais un nouveau bonheur m'attend. En arrivant à Malabo après les tangages incertains de l'avionnette affrétée pour l'occasion depuis Douala, après la jungle vue du haut et ainsi transformée en un ensemble pacifique de brocolis annonciateurs, après la vue du petit volcan enveloppé de romantiques nuées, je retrouve une touffeur qui me serre dans ses bras, la chaleur poussée à son plus haut point d'humidité s'enroulant amoureusement en une caresse palpable, mélangée à une odeur de fruits, de parfums inconnus, de pourriture terrestre, la pourriture de la vie, l'humus du commencement, la moiteur du désir, l'alanguissement qui nous saisit à vivre sous ces climats délétères.
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Vous est-il déjà arrivé de découvrir, par hasard, que l’endroit où vous êtes né importe peu et que des racines plus profondes, des correspondances, ainsi que le sentiment d’appartenir à une autre société, d’y revenir ou d’y renaitre primait ?

Les expériences que j’ai vécues au Gabon en 1972 et 1973 et en Guinée Équatoriale de 1989 à 1994 me le feraient croire, bien que la distance, la non compréhension des rites et des croyances, ma révolte devant la mort d’un enfant, soient aussi intervenues.
Ces souvenirs ne suffiraient pas, s’ils n’étaient étayés par mes lectures, les évènements et l’histoire, qui viennent leur donner une explication.
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Les écrivains et le suicide

En 1941, cette immense écrivaine, pensant devenir folle, va se jeter dans une rivière les poches pleine de pierres. Avant de mourir, elle écrit à son mari une lettre où elle dit prendre la meilleure décision qui soit.

Virginia Woolf
Marguerite Duras
Sylvia Plath
Victoria Ocampo

8 questions
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Thèmes : suicide , biographie , littératureCréer un quiz sur ce livre

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