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Bravo Francine ! Vraiment Bravo !
Babelio cache des talents insoupçonnés, et afriquaeh, notre Francine en est un que je découvre à mon grand plaisir, en plus une histoire autobiographique, instructive, foisonnante de citations littéraires intéressantes et tout cela racontée avec beaucoup de sincérité et d'humour, d'une prose simple et naturelle.

Francine nous ouvre son coeur sur cette vie passée en Afrique, « un véritable océan, une planète à part, un cosmos hétérogène et immensément riche…. », où elle atterrira suite à son mariage avec un étudiant gabonais , rencontré sur les bancs de la fac en France. Ce qui est intéressant et émouvant est son approche naturelle à un nouveau pays aux vies, us et coutumes totalement différents du pays d'où elle arrive, où l'argent , confort et autres gadgets de la civilisation occidentale sont quasi inexistants. Pourtant ces us et coutumes de retour en France ne seront plus aussi intéressantes et pratiques à vivre…..

La forme subtile et nette est découpée en chapitres , dont chacun débute par une citation superbement choisie qui reflète le pitch de son sujet précis se référant à la vie sociale, l' histoire, les coutumes et les conditions de vie souvent assez tragiques du Gabon et de la Guinée Équatoriale, deux pays sous le joug de la dictature et de la corruption que je ne connais pas du tout. Elle nous y détaille ses expériences, ses ressentis dans et sur ces pays en l'enrichissant avec détails et explications de teneur très instructive.
Un aperçu lumineux de l'Afrique d'une touche très personnelle.

Pour terminer une citation du livre,
« Seul celui qui envisage son projet comme une entreprise toute naturelle et non comme une entreprise extraordinaire, qui ne fait pas étalage de sentiments d'héroïsme, mais connaît seulement le devoir accepté dans un enthousiasme calme et sans illusions, est capable de devenir un de ces aventuriers de l'esprit dont le monde a besoin. »
Albert Schweitzer
Cela te correspond chère Francine ; humilité, générosité, honnêteté et intelligence sont pour moi les quatre qualités primordiales chez une femme et un homme, tu les possèdes toutes. J'adore aussi comment tu glisses entre les lignes tes mariages ( spéciales 😊) et ton divorce comme des faits banales de la vie courante, « Mon mari (car j'ai rencontré l'homme de ma vie, un Andalou, nous nous sommes mariés, je le raconterai par la suite) »😁 , Merci.
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Quelles sont vos troublantes racines, à vous ? Celles que vous ressentez confusément, très intimement, indépendamment de votre lieu de naissance, celles que vous choisissez, attirés irrésistiblement par un territoire, un peuple, une culture…un entrelacement de racines ataviques et de racines culturelles, frémissantes de vie, d'évidence, de désir et d'attraction difficilement explicables, des attaches indicibles ne correspondant pas toujours au lieu où nous sommes nés. Francine Romero, dont les troublantes racines sont africaines, nous l'explique dans ce beau récit autobiographique.

Qu'il est délicat de faire une « critique » sur un livre dont l'auteure est une amie ici sur Babélio. Même lire le livre n'a pas été si aisé, j'avais peur de ne pas aimer, un peu gênée aussi de découvrir cette autobiographie dans laquelle cette amie littéraire se dévoile. J'ai procrastiné, un peu, avant de me lancer. Et j'ai beaucoup aimé. Voilà un récit tout bonnement fascinant et je comprends à présent tellement mieux la passion de Francine pour l'Afrique, au point d'ailleurs d'avoir choisi pour pseudo @Afriqueah. J'ai tellement aimé que la fin m'a laissée sur ma faim : pourquoi pas une troisième partie sur les centres culturels de Niamey et Zinder ? Hein, pourquoi Francine ?
Il faut dire que je me suis régalée de ces deux parties, deux immersions de l'auteure en terres africaines, plusieurs chapitres dans chacune des parties démarrant par une citation bien choisie en lien avec le propos du chapitre, suivies, dans le corps du texte, par des allusions littéraires nombreuses qui viennent compléter élégamment l'expérience et les ressentis de l'auteure. C'est à la fois du vécu (et nous apprenons plein de choses dont le fameux « Poulet bicyclette ») mais aussi érudit, un récit joliment équilibré.

Deux parties donc, pour deux cultures africaines. Celle du Gabon d'une part durant les années 1972 et 1973, celle de Guinée équatoriale d'autre part de 1989 à 1994. Deux parties pour deux façons bien différentes d'approcher l'Afrique. La première en tant qu'épouse d'un Gabonais, la deuxième en tant qu'expatriée à un poste dans deux Centres culturels. A l'Afrique intime et quasi anthropologique de la première partie succède l'Afrique foutraque et humaine, bassement mais aussi joliment humaine de la seconde partie. Deux tons. Deux types de racines. Racines ataviques, racines culturelles. de troublantes racines dans tous les cas pour cette femme indépendante, libre, érudite, courageuse !

Racines ataviques, ancestrales, innées, celles des origines, berceau de l'humanité, dans une première partie. Des racines comme retrouvées aussitôt arrivée en terre africaine.
« L'évidence, lorsque nous arrivons, me tombe dessus, comme si tout ce que j'avais pensé jusque-là, toutes mes actions, tout ce que j'avais désiré sans le savoir, se trouvait magiquement sur un plateau de bois précieux. Dès les premières marches descendues depuis l'avion, le sentiment de retrouver un monde connu me gagne (…) Plus que tout, je ressens une sorte de connivence secrète, une acceptation totale, une correspondance absolue avec cette culture que je connais parce que mon mari lui y est né m'en a longuement parlé. Je retrouve mes origines, celles de l'humanité, je retrouve ce que j'ai toujours voulu vivre ».

Francine va vivre dans le village natal de son mari, au sein même de la famille de celui-ci, apprenant à se délester du superflu, à se soucier seulement du moment présent, à vivre simplement, à faire avec une flore et une faune flamboyante, au sein de la forêt équatoriale notamment, foisonnante et dangereuse. A faire avec et à la ressentir, au point de comprendre pourquoi cet univers, si profond, soit devenu le refuge des esprits. Nous sentons à quel point l'auteure observe mais surtout ressent l'Afrique, s'immerge corps et âme sans rester sur le rivage, sans être uniquement observatrice, elle est totalement unie à la nature et aux villageois par « le lien de l'humanité heureuse et souffrante, vivant en vérité, ne demandant rien d'autres que ce qu'ils ont », au point de se sentir noire dans ce village gabonais. Elle fait preuve d'humilité, de respect, ne juge jamais, admire ces personnes, notamment les femmes rencontrées avec lesquelles se développe une touchante sororité. Elle se fond dans cette vie dans ce qu'elle a de plus précaire et de plus simple. J'ai trouvé cette partie particulièrement apaisante dans son dépaysement, belle dans sa frugalité, touchante dans l'immensité ressentie, ce « sentiment océanique » évoqué qui fait qu'au-delà de notre statut d'humain nous nous fondons pour faire partie d'un tout. Cet aspect est très bien rendu.

« J'écris pour raconter ces mois passés, le bonheur de me réveiller sur ma natte, dans une hutte construite avec des piliers de bois et un lacis de feuilles de palmiers tressés, entre eux, le bonheur d'être là tout simplement. Bonheur simple, marcher sur le sable roux, parler avec mes belles-soeurs, qui, elles, bavent sur la France, bonheur paisible et monotone aussi du travail des champs, conclu par un somptueux coucher de soleil aussi rapide que multicolore ».

Malgré cette racine atavique ressentie avec évidence, force est de constater qu'elle n'est pas totalement des leurs, comme le prouveront sa mise à l'écart lors de la cérémonie mortuaire de la petite Anina, source d'un magnifique chapitre sur les différences de perception de la mort entre les deux cultures, un chapitre qui m'a interpellée et émue, ainsi que le retour en France où le décalage culturel avec son mari posera problème.
« Ces mois passés au Gabon m'ont à la fois réunie dans la simplicité des actes de tous les jours, donné le sentiment d'appartenir à cet univers, et insidieusement fait mesurer une différence indéniable ».

Racines construites dans la seconde partie, choisies, davantage culturelles, comme ancrages sur un territoire pour mener à bien une mission. Une source d'ouverture et de compréhension au monde, un défi dans un pays dictatorial dangereux, une volonté de retrouver ce territoire tant aimé. Francine pourrait faire sienne cette splendide citation de Karen Blixen qui ouvre un des chapitres :
« La rencontre que j'ai faite en Afrique d'une race essentiellement différente de la mienne a contribué puissamment à l'heureuse expansion de mon univers. La tendresse est née entre nous au premier regard ».

A la simplicité presque naïve (au sens pur) de la première partie, l'auteure oppose la compréhension du dessous des cartes de la gouvernance africaine. La corruption des classes dirigeantes, celle des fonctionnaires, l'exploitation du pays par d'autres pays et par des multinationales, mais aussi les abus de certains expatriés sont narrés parfois avec virulence et même une véritable colère. Cette Afrique des blancs qui engendre des attitudes méprisables. Mention spéciale à un des directeurs du Centre qu'elle rhabille pour l'hiver, ces quelques lignes sur le monsieur sont un truculent et savoureux exutoire.

« Un des directeurs du Centre est un pourri, un gros bouffi affreux qui présente un ventre saillant à travers les pans de sa chemise prête à péter les boutonnières, semblable à s'y méprendre à un des personnages (figure récurrente de certains blancs) de Mongo Beti dans Trop de soleil tue l'amour ou de Gil Courtemanche dans Un dimanche à la piscine à Kigali. Il a inventé un système imparable et que moi comptable, qui pourtant l'ai à l'oeil, ne peut contrecarrer »…

Tout au long du livre, nous apprenons une foultitude de choses sur les maladies, la mort, la sorcellerie, les mets culinaires, l'hygiène, l'histoire coloniale des deux pays, la politique, les différentes tribus, les us et coutumes…C'est érudit sans jamais être pédant, c'est beau sans jamais tomber dans le pathos. D'ailleurs, il y a une pudeur telle dans ce récit que le drame est juste évoqué, glissant, l'air de rien, au détour d'une phrase, sans s'étaler, alors que nous devinons combien ce malheur a dû être profond, que le bonheur notamment conjugal est simplement relaté. Pudeur donc, humanité, sincérité, authenticité, ouverture d'esprit et esprit critique, grande liberté, ainsi sont serties les racines africaines de Francine qui m'ont joliment troublée. Merci à toi Francine et, très sincèrement, bravo !

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Troublantes Racines - Francine Romero - Récit autobiographique - Lu en août 2023.

Lu entièrement le 15 août, sans pouvoir m'arrêter.

Je vais commencer par quelques citations du prologue que j'aime énormément :

"J'écris pour avoir la force de vivre le pays des solitudes, le pays métis...
J'écris parce que la vie me déroute, j'écris parce que j'ai peur de la mort.
J'écris pour mieux comprendre autrui, j'écris pour me comprendre.
J'écris pour me racheter" Birago Diop

Francine (Afriqueah sur Babelio) a écrit le récit et les ressentis de ses années passées entre le Gabon et la Guinée Équatoriale pour assurer la gestion comptable de deux Centres Culturels, nommée par le Ministère de la Coopération .

Francine a hésité longtemps avant de se lancer, elle rencontre Pierre Duchesne auteur d' Une année au Cameroun et là, c'est le déclencheur, Francine s'y met et c'est génial, elle "ressent une urgence d'écrire deux de ses expériences africaines".

Ses souvenirs personnels sur sa découverte de l'Afrique, l'histoire de cette Afrique, le passé et le présent moins glorieux.

Divisé en deux parties, son récit débute avec sa rencontre avec Yenoth, étudiant gabonnais, à Lille lors de ses études. Un mariage, un petit garçon.


Et les voilà partis dans le pays de son mari où Francine va découvrir le Gabon , terre d'Afrique dont elle se sent immédiatement en symbiose, "plus que tout je ressens une connivence secrète... je retrouve mes origines, celles de l'humanité"

Atterrissage à Libreville.

Port-Gentil, une autre étape, rencontre avec la famille de son mari, oncles, tantes, cousins-ines... une grande famille, autour de repas bien de là-bas où elle est bien accueillie. Francine se délaisse du superflu, découvre que le temps en Afrique n'a pas la même durée qu'en Europe, il passe, c'est tout. Elle se débarrasse de sa montre, elle n'en portera jamais plus.
Et puis, le périple pour arriver dans le petit village de Yombé II au bord du fleuve Ogooué en pirogue, traversée de l'immense et dangereuse forêt équatoriale. Moyen de communication, le tam-tam. Découvertes des coutumes, de la culture, de la nature foisonnante, des couleurs, des odeurs, tous les sens sont en éveil quand on découvre l'Afrique et ça ne s'effacera jamais. Découvertes aussi des différentes ethnies, pas toujours amies !
Découverte d'une appartenance à la famille, d'une chaleur humaine d'une entraide.
Dans les petites plantations de manioc, ce sont les femmes qui travaillent "ce sont les femmes africaines qui portent le Continent sur leur tête" écrit Henning Mankel cité par Francine. Elles portent sur leur tête des kilos de racines de manioc avec une dignité et un port de reine inégalable. La polygamie est normale là-bas à cette époque. Pour se nourrir, c'est la chasse, la pêche, la culture du manioc, le petit élevage. Pas de réserve puisque pas de frigo.
J'ai adoré le passage sur les éléphants, Francine en parle comme personne. Les insectes grouillent en Afrique, on s'habitue.
Une infirmerie rudimentaire, sans médicament exceptés des antiseptiques. La lèpre, la bilharziose, le paludisme, la fièvre jaune ... sont des fléaux.
Les rituels de la mort, les esprits, les guérisseurs, les sorciers ou sorcières, les désenvoûtements, les confréries secrètes, les initiations rites de passage occultes.

Un peu d'histoire dans le récit de Francine, les invasions, les colonisations, la traite des esclaves, les Pygmées, le pétrole, l'entrée du Gabon dans l'OPEP, la crise de 1973, l'entrée de l'Islam.
Retour à Lille où Francine découvre un autre homme en son mari, c'est la fin de leur union.
Et puis, La Guinée Équatoriale 1989-1994, Francine fait ses adieux à son père, elle n'est pas sûre de le revoir, c'est dur. Elle s'en va avec sa fille Inès, son fils qui doit passer son bac sera pensionnaire.
L'installation à Malabo n'est pas de tout repos, alimentation en eau déplorable...
La dictature est au pouvoir, la méfiance règne, on ne dit pas ce qu'on pense, c'est dangereux. le meurtre barbare d'un coopérant, ami de Francine.
Le pétrole toujours, objet de convoitise provoque bien des malversations, le scandale des déchets nucléaires.
La corruption règne en maîtresse "la vénalité des politiciens, la cupidité des fonctionnaires et des flics et les expatriés qui ne sont pas tous des parangons de vertu."

Francine fait la rencontre de "l' homme de sa vie" un Andalou avec lequel elle se marie. Elle est heureuse.

D'aventures en aventures, Francine nous fait découvrir une vie mouvementée, avec ses grandes joies, ses petites et grandes peines, ses désillusions aussi, mais toujours cet énorme amour de la vie.

L'Afrique, Francine l'a dans le sang, dans les tripes, elle repartira travailler à Niamey capitale du Niger et à Zinder.

C'est une belle histoire que celle de Francine, un témoignage passionnant d'un vécu bourré d'anecdotes, avec en toile de fond l'histoire de cette Afrique si convoitée pour ses richesses, un peuple maltraité par ses dirigeants corrompus et avides de pouvoir.

Une Afrique qui reste tellement présente dans le coeur de ceux et celles qui y ont vécu et qui ont dû la quitter malgré eux pour des raisons de sécurité. C'est ce que mes parents, mes frères et soeurs ont été obligés de faire en 1960 lors de l'indépendance du Congo. Mais comme Francine, l'Afrique est quelque part dans mon coeur, inoubliable.

Francine a mis tout son coeur dans ce récit, toutes ses émotions, et la lire a été un formidable plaisir, je vous recommande de lire son aventure, vous ne pourrez pas rester indifférents , en toute honnêteté, parce que vous pourriez croire qu' étant une amie babéliote je ne peux que dire du bien de son récit, mais non, il en vaut la peine, d'ailleurs lisez-le, vous vous ferez votre propre opinion et je serai heureuse et curieuse de la découvrir.

Un tout grand merci Francine, et pourquoi pas ton passage au Niger dans un prochain livre ?

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« Un grand silence gêné suivi de rien, un peu comme si j'avais prononcé une grossièreté, comme si poussée par la désespérante volonté de ramer à contre-courant, j'essayais de donner de l'importance à ce qui, pour tous, semblait futile, un grand silence a ponctué mes essais de parler de l'Afrique. »

Ce livre de mémoires, écrit à des décennies de distance, est une réponse éclatante au grand silence qui accompagna les tentatives de Francine de mettre en mots ce qui constitua pour elle une expérience primordiale, fondatrice et inoubliable. C'est l'amour qui l'a d'abord menée en Afrique. L'amour pour Yenoth, un étudiant gabonais rencontré sur les bancs de l'université, qui s'est mué en amour pour son pays, où elle fut reçue de longs mois deux années de suite par des gens simples avec lesquels elle sut nouer un lien fort et durable. C'était au début des années 70, et lorsque Francine pose pour la première fois son pied sur le sol africain, à Libreville, elle est frappée par l'évidence, celle de se retrouver chez soi, celle de renaître « dans une matrice originelle et sécurisante. » :
« Plus que tout, je ressens une sorte de connivence secrète, une acceptation totale, une correspondance absolue avec cette culture que je connais parce que mon mari qui y est né m'en a longuement parlé. Je retrouve mes origines, celles de l'humanité, je retrouve ce que j'ai toujours voulu vivre. Pourquoi ? Je ne sais pas, c'est ainsi. »

Sur le chemin qui la mène de Libreville à Port-Gentil, puis au village de Yombé II où elle fait la connaissance de sa belle-famille, Francine se déleste de toutes ces choses futiles qui encombrent nos existences, maquillage, crèmes, chaussures, vêtements, ainsi que de sa montre qui scande inutilement les heures dans un pays où le temps ne se découpe pas en tranches, mais se vit.

« La nuit nous tombe dessus, sans prévenir, nous enroule dans sa douceur, puisque nuit ne veut pas dire froid. Les nuits sont chaudes ici. Je prie à la vue de cette splendeur, prière spontanée, sans autre but que de dire merci. le matin, j'assiste, aussi minuscule qu'une fourmi, à la création du monde dont l'immensité se déploie, se multiplie, se colore en une incroyable variété de tons roses, bleus et violets, en un sans fin de nuances se mariant entre elles. »

À cette expérience liminaire, à cette immersion dans une vie villageoise et familiale blottie sur un banc de sable coincé entre le fleuve Ogooué et la forêt tropicale où il est interdit de pénétrer, en succède une autre seize ans plus tard, bien différente, en Guinée Équatoriale, un des pays les plus pauvres du monde où elle se rend pour raisons professionnelles. Pas de famille africaine cette fois pour l'accueillir en son sein, mais l'Afrique des blancs, un monde confiné et à part, douteux mélange de ragots, de condescendance et d'ignorance, relevé d'une pincée de corruption avec, Dieu merci, quelques personnes, comme elle authentiquement désireuses d'apprendre et d'aider au développement du pays.
S'appuyant sur ses expériences et impressions personnelles ainsi que sur ses nombreuses lectures, aiguillonnée par un inassouvissable désir de comprendre et de transmettre, Francine nous livre une multitude d'informations sur l'Afrique de l'Ouest — historiques, politiques, culturelles — qui constituent de précieuses clés d'analyse pour les lecteurs qui, comme moi, ne connaissent l'Afrique qu'au travers de ses clichés les plus éculés : épidémies, malnutrition, guerres ethniques…

Nous faisant part de ses questionnements et de ses doutes avec la franchise et l'honnêteté qui la caractérisent, Francine nous invite à réfléchir. Ainsi lorsqu'elle s'interroge sur le supposé fatalisme africain susceptible d'expliquer des siècles de sévices, j'y ai vu un écho d'une réflexion que Karen Blixen nous livre dans La ferme africaine :
« Ils considèrent comme naturel que la plupart des hommes soient capables de tout et il est impossible de les offenser, même en le cherchant. Un Kikuyu qui serait sensible à la manière dont d'autres personnes le traitent serait considéré comme mauvais, dégénéré ou fou — cela reviendrait à juger la vie ou Dieu en fonction du temps qu'il fait. »

Si Francine reste très pudique sur ses sentiments, l'émotion pourtant, nimbée de la nostalgie de ce qu'elle a aimé et perdu à jamais, irradie chaque page de son livre. J'y ai lu un amour infiniment reconnaissant, loin de tout lyrisme, pour l'Afrique et pour ceux qui la peuplent, pour ce que ce continent « dansant sur le passé et tourné vers l'avenir » lui a donné : ses racines.
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Comment aurais-je pu deviner que l'amie qui était en train d'admirer une toile de Joan Mitchell, avait été une aventurière et qu'elle avait aimé un bel étudiant Gabonais au point de quitter son confort occidental pour partir à la découverte de sa nouvelle famille.

Une personne à la générosité telle, qu'elle est parvenue à accueillir des us et coutumes très éloignés de son mode de vie occidental, sans jugement, en toute simplicité, afin de se fondre dans le creuset de cette nouvelle vie au Gabon et de partager le quotidien du village.

Et c'est son récit chaleureux qui donne toute la valeur de ce livre, cet amour d'une terre qu'elle a peut-être connue dans une autre vie au point d'avoir eu le sentiment de retrouver ses racines ; mais Lucy n'est-elle pas à l'origine du rameau humain, l'Afrique ne serait-il pas le berceau des représentants de notre espèce, un retour aux origines en quelque sorte qui pourrait lui donner ce sentiment d'appartenance du temps où nous étions des australopithèques.

Un livre qui dispose d'un prologue magnifique de Birago Diop, ne pouvait qu'être écrit par une femme de coeur. Chaque chapitre se voit doté d'une très belle citation en rapport avec le thème.

Le voyage peut alors commencer. L'avion décolle de Paris en partance pour Johannesburg via Libreville. Atterrissage à Libreville, nous sommes en 1972, commence alors l'aventure avec la rencontre d'un « mamba noir », un serpent qui peut vous tuer en quelques secondes. le ton est donné, il fait chaud, nous sommes bien en Afrique et la montre n'est plus d'aucune utilité.

Port-Gentil avec la présentation des oncles et des tantes et ensuite remonté du mythique fleuve Ogooué en pirogue à moteur à destination du village où l'authenticité est au rendez-vous ainsi que la chaleur humaine.

L'adoption s'effectue chaque jour un peu plus tout en participant aux travaux habituels. J'ai aimé accompagner ces femmes à travers la plume de Francine, je les ai visualisées :

« Je revendique aussi de partir avec elles au petit matin, l'une derrière l'autre, jusqu'au fleuve, le long d'un sentier étroit créé dans la brousse au fur et à mesure de notre avancée, puis en pirogue, puis de nouveau l'une derrière l'autre, chacune portant sur la tête les plats que nous allons manger à midi, et tenant à la main les machettes qui vont nous servir à débroussailler. Germaine allie une démarche de déesse à une silhouette longiligne digne d'un mannequin, elle enroule un lourd pagne au-dessus de sa tête pour y poser les plats avec un remarquable équilibre »

Ce village vit au jour le jour avec le souci de se nourrir au quotidien, à l'abri des grands arbres qui sont plantés là, nourriciers et protecteurs, pour les familles des alentours. Il faut apprendre à vivre en défiant la mort, les maladies, le paludisme notamment, les rats, les mouches, c'est particulièrement impressionnant cette insolence constante que lancent les humains à la nature environnante.

Tous ces villageois sont magnifiquement évoqués. On se sent relié à chacune de leur personnalité et la conscience "d'être" prend tout son sens loin du verbe avoir.

« Puis Papa Mandembi, un autre oncle à la barbe blanche qui habite un village de l'autre côté du fleuve, le traverse en pagayant debout, royal, superbe, inoubliable vision, pour rendre hommage à notre fils, son homologue de deux ans. Dans l'émotion générale, il a offert un coq vivant, en le tenant par les pattes, au petit garçon à qui nous avons donné le même nom que lui, comme pour l'assurer par ce choix d'être certain qu'il ne va pas mourir tout à fait ni disparaitre intégralement de la terre ».

Le chapitre sur les rituels de deuil, sur les guérisseurs, les confréries, la forêt et ses esprits qui convoquent le surnaturel, sont captivants. Ils nous enseignent, autant que possible, sur toutes ces traditions qu'il nous faut respecter et qui ont forgé le peuple Bantou, installés sur les rives du fleuve l'Ogooué ; ce fleuve précédemment emprunté par le Docteur Albert Schweitzer en 1913, qui le mènera en forêt équatoriale pour y installer son hôpital.

J'ai beaucoup aimé ce premier séjour au Gabon bien qu'il se soit terminé par un divorce mais aussi avec deux très beaux enfants. Dans un couple, chacun apporte une part de lui-même façonnée par sa culture, son éducation. Dès l'instant où les désillusions dessillent nos yeux, il devient difficile de rester uni, main dans la main.

La deuxième partie du livre s'attache au séjour de Francine dans la Guinée Equatoriale, de 1989 à 1994 où elle a été mutée, et qui est un des pays les plus pauvres du monde et ancienne colonie espagnole. de son poste et durant cette période, son regard a le temps de noter toutes les défaillances, les irrégularités, qui gangrènent ce petit pays. Cette partie jette un coup de projecteur sur les malversations, la dictature, l'Afrique des blancs, le pétrole. Mais il n'y a pas qu'un constat négatif, il y aura, là aussi, une belle rencontre amoureuse.

J'ai été fascinée par cette lecture qui m'a rappelée les récits de ma grand-mère qui a vécu dix ans en Afrique où une partie de ma famille s'était installée. Elle avait un amour immense pour ce continent et en lisant ces chapitres, je revivais les souvenirs de mamie. Longtemps l'Afrique fut pour moi comme un appel auquel je n'ai pu répondre si ce n'est qu'au travers de mes échanges avec mes amis d'origine africaine qui ont eu la gentillesse de m'inviter à des soirées culturelles, me donnant le sentiment de voyager un peu.

Je termine l'année 2023 en rédigeant ce retour de lecture d'un récit emprunt de tendresse pour le continent africain même si celui-ci est immense et qu'on ne peut généraliser. Francine Romero @Afriqueah, nous offre un beau cadeau, la découverte d'une part importante de ce qui a été son histoire personnelle.
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Ceci, sur un livre que j'ai écrit, n'est bien entendu pas une critique, mais une déclaration d'amour et d'amitié : amour lorsque je suis arrivée, par les hasards de la vie, dans un petit village gabonais dont j'ai découvert les racines qui me liaient à lui.

J'ai vécu au Gabon chez des paysans simples, et qui pourtant revivaient Homère, avec les sirènes qui sont des lamantins, animaux qui existent tout au long de l'Ogooué et qui font rêver comme Ulysse le faisait. A l'arrivée au village, en plus de la chaleur, de la vie minimaliste et austère, de la générosité de ma nouvelle famille, je retrouve, comme si je renaissais après une vie antérieure, ce dont j'ai toujours rêvé, mes racines. Je ne peux, par ailleurs, que comparer cet ancrage avec le monde antique ; par bien des points, les libations, les cimetières au-delà du fleuve, les mariages romains avec adoption, je reconnais une civilisation où la mort n'est pas normale, où les féticheurs jouent un rôle pour la dénoncer, où donc les empoisonneurs existent, où les sociétés secrètes d'hommes, puis de femmes luttant contre le pouvoir des hommes, se font respecter et craindre, à l'aide de drogues dures et nécessitant des initiations dont j'ai juste vu le préambule.
Mais je l'ai vu.
Amour passion pour mon deuxième mari, en Guinée Équatoriale, avec qui j'ai partagé la connaissance de l'Afrique, vécu la vie des blancs tout à fait privilégiés, et, pourtant, ne fraternisant pas, mais pas du tout, avec eux, pauvres expatriés dont je raconte le racisme, l'appât du gain et la corruption. Toutes pensées méprisables fondées sur l'ignorance.

Déclaration d'amitié vis-vis de Pierre (@Dombrow01), restant dans l'ombre de babelio, qui m'a encouragée, aidée, corrigée vingt mille fois, suivie, puis s'est chargé de la mise en page, de la couverture, de l'envoi enfin à amazon/kindle.
Sans lui, sans son amitié le long des mois, nos échanges constants par téléphone, sa vigilance devant mes failles, ce livre n'aurait pas vu le jour.
L'amitié aussi s'est révélée, puissante, de la part de ma belle-soeur, qui avec brio et intelligence, a relu et corrigé le livre racontant une partie de ma vie que mon frère, militaire, avait refusé d'admettre, et dont, cinquante ans après, je reçois avec émotion les commentaires élogieux.
Déclaration d'amour à ma fille Inès, l'amour de ma vie, qui elle aussi a relu et fait des suggestions, sur un passé dont elle a eu les oreilles rabattues.
Car ce que j'ai vécu en Afrique a imprimé en moi une marque, comme si ma couleur de peau importait moins que l'amour que j'ai ressenti pour ce continent.
Pourquoi raconter ses souvenirs ? Pourquoi ce dont on se souvient prend sa valeur du fait même que l'on a gardé, parmi toutes les conversations, les rencontres, les épisodes d'une vie entière, certains faits et pas d'autres ? Il se trouve que ces souvenirs personnels trouvent un répondant dans d'autres évènements et dans d'autres lectures.

J'avais envoyé en MP aux personnes de babelio que j'avais rencontrées à Paris, ou avec qui j'avais eu un dialogue particulier, l'annonce de ce livre à paraitre. Ne m'en veuillez pas, ne soyez pas troublés, si vous voyez soudain apparaitre Troublantes racines de Francine Romero sans avoir été prévenus. 
Et puis, 400 millième chronique.
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Je me suis embarqué sur la pirogue de mon amie Francine et j'ai remonté en sa compagnie le fleuve Ogooué pour découvrir le Gabon de 1972 avant de poser mes bagages avec elle en Guinée Equatoriale de 1989 à 1994.

Un voyage incroyable pour le petit français que je suis et qui ne connait rien de l'Afrique. Un dépaysement m'attendait à chaque page. Un plaisir qui se veut unique et exotique. Une aventure à taille humaine avec une véritable copine qui a su me prendre par la main en m'invitant au grand voyage sans chichi et en toute honnêteté. Une invitation privée pour un récit autobiographique dans un pays où le mot racine a une résonnance toute particulière.

On savait que Francine était une inconditionnelle du continent africain, aujourd'hui on découvre cette facilité qu'elle possède à nous faire partager cet amour passionnel. On ressent avec elle toutes les choses qui l'unissent à ce pays, à son deuxième pays. Des habitants jeunes et âgés à ceux de sa famille d'adoption, elle sait si bien nous les décrire qu'elle nous donne l'impression de les toucher, de les sentir, de les voir et de les aimer. On perçoit entre les lignes leurs accents, leur gouaille, leur humanité. On comprend avec Francine que les petites choses de tous les jours dans nos cultures occidentales, revêtent une importance vitale dans ces pays où l'eau courante et l'électricité ne sont pas à la portée de tous. Où il faut apprendre à se débarrasser du superflu si l'on veut vivre, vivre tout simplement en respectant la nature, en revenant à nos racines ancestrales même si cela peut paraître quelquefois troublant…

Mais notre amie sait aussi nous montrer une autre image de l'Afrique. Derrière la femme complaisante, il y a aussi la femme révoltée. Celle qui nous montre l'autre côté de la carte postale et des Tours opérateurs. L'Afrique de la corruption, de l'exploitation, des dictateurs et des fonctionnaires d'une certaine coopération qui se veut souvent à sens unique. Elle n'est pas tendre avec cette Afrique des Blancs et des profiteurs. Sans entrer dans le pathétique, elle sait bien nous expliquer la mentalité de ces petits blancs encore empêtrés dans leur colonialisme. Heureusement son optimisme bien diffèrent d'une naïveté gentille redonne à son récit la sincérité qui ne la quitte jamais et qui donne tant de véracité à ses propos.

Merci pour ce merveilleux bout de chemin fait ensemble mon amie. Merci pour ces images et ses décors riches en couleurs et en bruits. Merci pour ces odeurs, ces épices, ces plats typiques (je vous laisserai découvrir le fameux poulet bicyclette). Merci de m'avoir fait aimer et surtout ressentir ce beau pays qui est le tien et que tu as su également faire devenir le mien tout au long de ces pages. Merci ma chère Afriqueah pour ta franchise et ton authenticité. Ah ! Vivement qu'on puisse y retourner ensemble !!!

« En arrivant à Malabo après les tangages incertains de l'avionnette affrétée pour l'occasion depuis Douala, après la jungle vue du haut et ainsi transformée en un ensemble pacifique de brocolis annonciateurs, après la vue du petit volcan enveloppé de romantiques nuées, je retrouve une touffeur qui me serre dans ses bras, la chaleur poussée à son plus haut point d'humidité s'enroulant amoureusement en une caresse palpable, mélangée à une odeur de fruits, de parfums inconnus, de pourriture terrestre, la pourriture de la vie, l'humus du commencement, la moiteur du désir, l'alanguissement qui nous saisit à vivre sous ces climats délétères. »
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La rencontre que j'ai faite en Afrique d'une race essentiellement différente de la mienne a contribué puissamment à l'heureuse expansion de mon univers. La tendresse est née entre nous au premier regard.
Karen Blixen
Ce livre est une bouffée de fraîcheur presque un appel au large dans ma petite vie de tous les jours.
Que ce soit cette citation de Karen Blixen où des extraits de ce roman je suis rentrée chez moi le temps de la lecture. J'ai partagé le ressenti de Francine, il y a bien des années, presque une autre vie.
Ce n'était pas le même pays mais les mots et les impressions ont résonnés en moi.
Ce texte se présente en deux parties :
La première sous forme de journal de bord avec sa famille, le tout agrémenté de textes et d'une analyse de cette expérience.
La vie au jour le jour, l'accueil de sa famille, leurs coutumes et puis aussi la sorcellerie (tout ce qui y touche ou presque m'était plus ou moins connu avec quelques variantes).
La seconde tient plus du témoignage est n'en est pas moins intéressante.
Nous voici revenus à la dure réalité de ces pays où la colonisation a semé les graines du pouvoir, de la corruption, de l'envie. Des pays qui ont souvent recours à la dictature et aux guerres ethniques.
Mais Francine Romero sait nous raconter les mille et uns petits événements de la vie à l'étranger, ses mésaventures en bateau, sa rencontre avec son bel hidalgo et aussi la magie d'un bracelet, sorte de sésame.
Après le Gabon et la Guinée Équatoriale, notre amie partira pour Niamey et Zinder à la découverte d'une autre culture.
Une approche complète, toute une culture abordée. Une très fine analyse étayées par des citations d'auteurs africains ou concernant l'Afrique qui font parfaitement écho à chaque chapitre.
J'ai adoré ce premier roman et attend le prochain avec impatience.
J'ai mis beaucoup de citation mais j'ai particulièrement aimé celle du fils de l'auteur à propos du travail :
« Ces enfants aussi travaillent, vont chercher du petit bois, portent les plats, aident à la préparation du manioc. Mon fils commente doctement : nous, on cravaille. »
Un grand merci à Francine @afriqueah pour ce sublime voyage.
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Avec Troublantes Racines, Francine Romero m'a fait voyager en Afrique et découvrir l'histoire de la Guinée équatoriale. J'aime les livres qui me font faire des voyages imaginaires et me permettent d'en apprendre davantage sur des pays (moeurs, culture) où je n'irai probablement jamais.

Francine Romero a beaucoup voyagé : Gabon, Guinée, Nouvelle-Calédonie avant de poser ses valises en Andalousie, aux côtés de son mari Curro (splendide description du mariage dans la cathédrale de Malabo !). L'agréable souvenir de mes séjours en Espagne m'avait donné envie de l'inviter à faire partie de mes ami(e)s babelionautes. Ainsi, j'ai eu la chance d'être informée qu'elle préparait un livre-témoignage sur ses diverses pérégrinations en Afrique. Pour le premier anniversaire de sa parution, voici ma chronique et félicitations pour cet ouvrage, qui poursuit son chemin auprès des lecteurs !

C'est avec plaisir que je suis partie avec Francine Romero, d'abord au Gabon dans les années soixante-dix avec son mari Yenoth, un étudiant gabonais, pour rendre visite à sa belle-famille. Cette partie est l'occasion de voir comment s'organise la vie au village Yombé II, les différences culturelles dans la manière d'appréhender la mort, celle d'une petite fille notamment, les rites, les sociétés secrètes. C'est à la fois instructif et émouvant, la photo de l'enfant, en particulier.

Le retour à Lille après cette immersion, cette aventure anthropologique, est plus difficile : le sentiment ambigu d'avoir trouvé ses racines en Afrique, alors que Francine Romero n'en est pas originaire, et pourtant la sensation de ne pas tout comprendre, de ne pas tout partager, de ne pas être d'accord avec tout. Ce décalage paradoxal crée une rupture.

Je connaissais un peu l'histoire du Gabon mais j'ai néanmoins appris beaucoup de choses sur les divers dirigeants, la Françafrique, l'affaire Elf. En revanche, j'ignorais tout de l'histoire de la Guinée. Guinée Bissau, Conakry, Malabo, Bata… ne sont que des mots sur une carte, pour moi, et encore… Il faut dire que ceux qui tentent d'approfondir le sujet parmi les expatriés finissent mal. le sort réservé à André Branger est révélateur.

Cette affaire, qui donne au récit une allure de thriller financier et géopolitique, m'a fait penser à celle du juge Borrel à Djibouti en 1995. le témoignage de Francine Romero, comptable à l'ICEF, l'Institut culturel d'expression française, à Malabo, est édifiant sur certaines pratiques dictatoriales : la mainmise du parti unique sur les médias, ce dont on ne parle pas n'existe pas, la corruption, les douanes, les petits et gros dysfonctionnements du quotidien…

Un texte qui m'a donné envie d'effectuer des recherches sur la Guinée équatoriale et qui m'a aidée à mieux comprendre l'Afrique contemporaine. L'exemple des échanges commerciaux entre l'Occident et la Guinée équatoriale est d'un réalisme cruel : le dictateur vend à prix d'or le pétrole, met l'argent sur son compte privé à l'étranger et la Guinée équatoriale reçoit en retour des déchets toxiques, issus du nucléaire, à enfouir sous son sol. Où ? Sur l'île d'Annobon ? Merveilleux ! de quoi réjouir la population !

J'ai particulièrement apprécié, au début de chaque chapitre et tout au long du récit, les citations d'écrivains, de poètes, d'explorateurs, les références culturelles érudites et passionnantes, pour moi. L'une d'entre elles a eu une résonance intime et j'ai trouvé que c'était une excellente idée de commencer ainsi Troublantes Racines :

« Écrire, c'est s'ouvrir à tous les vents. Écrire, c'est entreprendre la quête inachevée. J'écris parce que la vie me déroute, j'écris parce que j'ai peur de la mort. J'écris pour apprendre à penser, pour mieux comprendre autrui, j'écris pour me comprendre. » Birago Diop.
Lien : https://laurebarachin.over-b..
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Francine,

Je voudrais commencer ce billet par cette citation de Karen Blixen qui pourrait être la tienne tellement elle te ressemble :

« La rencontre que j'ai faite en Afrique d'une race essentiellement différente de la mienne a contribué puissamment à l'heureuse expansion de mon univers. La tendresse est née entre nous au premier regard ».

*
Nous nous sommes rencontrées sur un de mes billets, celui du lion de Joseph Kessel, et j'ai tout de suite ressenti cet amour que tu vouais pour un continent qui m'a toujours attirée et fascinée.
Depuis, je te suis dans tes nombreuses chroniques qui poursuivent ce lien affectif avec l'Afrique que tu n'as pas rompu même si maintenant tu vis ailleurs.

Il est malaisé d'écrire un billet sur une autrice qui est également une amie sur Babelio. Les lecteurs pourraient penser que je ne suis pas impartiale.
Je n'ai pas hésité un seul instant à lire ton livre, car je savais ton passé riche d'expériences et d'anecdotes passionnantes que tu nous dévoilais par petites touches à travers tes chroniques. Je connaissais aussi ton érudition sur ce continent qui t'est cher.
Mais, pour tout t'avouer, j'avais une appréhension face à ce billet que je rédige aujourd'hui, peur de ne pas être à la hauteur de ton récit qui respire l'authenticité et dans lequel tu te livres avec pudeur, honnêteté et simplicité.
En rédigeant ces quelques lignes, je souhaite à mon tour faire preuve de la même justesse et de la même intégrité que toi.

*
Tu as entrepris ce que je n'aurais jamais osé faire, partir vivre loin de ta famille, loin de tes racines, loin de repères rassurants. Quel courage ! Tu m'as fait penser à ces grandes aventurières, comme Mary Kingsley que tu as chroniquée récemment, audacieuse, déterminée, courageuse, ouverte d'esprit, curieuse d'apprendre et de comprendre le monde qui l'entoure.
J'ai voyagé dans tes souvenirs et tes pensées, avec le sentiment d'approcher une autre façon de vivre, de voir, de penser. J'ai remonté le cours du temps au moment où européens et autochtones ont commencé à commercer, troquant esclaves, ivoire, or, contre des perles vénitiennes, des miroirs et autres breloques sans importance.

*
Ce que tu as ressenti à la descente de l'avion à Libreville en 1972, année de ma naissance, cette sensation d'appartenance à un monde aux antipodes du tien, c'est dans une certaine mesure ce que j'éprouve face à l'océan. La sensation étrange, difficilement exprimable d'être enfin de retour chez soi, de retrouver ses racines, d'être à nouveau entière.

« … je crois que l'endroit de naissance ne se trouve pas forcément là où sont nos racines, ou plutôt que nous pouvons trouver, sans chercher, des attaches ne correspondant pas au lieu où nous sommes nés. »

Ton récit est parsemé de magnifiques citations dont celle-ci qui exprime, je trouve, l'esprit de ton livre :

« Ce n'est pas un livre sur l'Afrique, mais sur quelques hommes de là-bas, sur mes rencontres avec eux, sur le temps que nous avons passé ensemble. Ce continent est trop vaste pour être décrit.
C'est un véritable océan, une planète à part, un cosmos hétérogène et immensément riche. »
Ryszard Kapuscinski

Ton mari Yenoth, un étudiant gabonais rencontré sur les bancs de l'université, va te permettre de vivre au sein de sa famille et de partager la vie de son village.
Une expérience de vie unique et précieuse fondée sur l'entraide et le partage, des rencontres inoubliables, des lieux auxquels tu t'es attachée.
Pendant deux ans, tu vas vivre des moments d'une grande richesse, des moments de bonheur simple et paisible, des moments de grande tristesse.

« … je crois que l'endroit de naissance ne se trouve pas forcément là où sont nos racines, ou plutôt que nous pouvons trouver, sans chercher, des attaches ne correspondant pas au lieu où nous sommes nés. »

Dans cette chaleur étouffante et moite, j'ai marché dans la forêt équatoriale, partagée entre la beauté mystérieuse, enveloppante de la jungle et ma crainte de me retrouver face à un serpent, une araignée. Mais j'ai très vite compris que ces animaux ne sont pas les plus dangereux et qu'il en existe de beaucoup plus petits à l'allure inoffensive responsables de la transmission de virus et de parasites microscopiques.
Malgré tout, j'ai admiré les magnifiques couchers de soleil, j'ai marché dans le sable aux jolies couleurs rousses, j'ai écouté le murmure de la rivière et la cacophonie envoûtante, vibrante de la jungle. Je me suis sentie en sécurité, entourée par ceux qui connaissent et respectent la forêt.

Mais plus important, je me suis rapprochée d'une autre culture que la mienne, dont j'ai perçu les croyances et les rites, les mythes et les légendes populaires, la force des esprits et le pouvoir des guérisseurs.
Dans cette partie du monde où la vie est précaire, j'ai découvert une autre façon d'envisager et de concevoir la mort.

« Ce n'est pas la mort en elle-même qui est crainte, puisqu'elle représente souvent en Afrique noire un état transitoire qui peut déboucher sur une renaissance, et ne signifie pas la fin ; la chose primordiale à éviter, c'est de faillir aux rituels funéraires, omettre un acte, négliger un sacrifice… »

*
Après le Gabon, tu t'envoles pour la Guinée Équatoriale où tu resteras cinq ans et trouveras l'amour de ta vie, ton bel Andalou.
Devant mes yeux se dessine une nouvelle ambiance, mêlant ton histoire, ta vie professionnelle aux événements historiques dramatiques qui ont marqué ce pays : la dictature de Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, le génocide perpétré par son oncle, la corruption qui gangrène le pays, la vie de privilèges de certains expatriés qui laisse un arrière goût de malaise et de colère, la question des droits de l'homme bafouée, le racisme affiché, l'Afrique poubelle de l'Europe.
Tu nous livres tes impressions en toute humilité, tes questionnements et par là même, tu nous interroges sur la dignité de l'âme humaine, sur le pouvoir de l'argent, sur l'influence politique et économique des pays européens (dont le notre) au mépris des valeurs humaines, de la dignité et de l'honneur.

"Politique exige, notre volonté d'étendre la francophonie prime sur le respect des droits humains. Nous savons tous que le pays est aux mains d'un dictateur sanglant, nous-mêmes sommes complices d'une certaine façon en ne le dénonçant pas."

*
Grâce à toi et aux nombreuses références littéraires que tu dissémines tout au long de ton récit, j'ai encore alourdi ma liste de romans que j'aimerais lire avec « Vers le cimetière des éléphants », « Un thé chez les éléphants ».

Je referme ton histoire avec la sensation que tu m'as offert une partie de toi. Tu es restée dans la retenue et la pudeur concernant ta vie privée, et ton récit n'en est que plus beau et émouvant.
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