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Critique de madameduberry


Tout en retenue et en pudeur, ce livre en dit-il encore trop pour que celle qui l'a écrit ait souhaité qu'il ne soit publié qu'après sa mort? Il me semble que la raison de ce choix est ailleurs. Voir publier, et donc voir lire un livre sur sa mère n'aurat-il pas constitué l'ultime et dangereuse séparation? Ce qui est frappant dans cet ouvrage, c'est l'ambivalence, l'énoncé d' une reconnaissance éperdue conjoint avec l'aveu du désir d'ignorer le caractère démesuré de sa dette filiale. Les seules séparations qui semblent faire sens pour Jacqueline, solitaire à la fin de sa vie, sont celles qui surgirent entre elle et sa mère. Jacqueline semble avoir réalisé le voeu de Jeanne, être reconnue et célèbre , au prix peut-être d'une vie de famille voire d'une vie de couple.Sa qualité même de spécialiste de Thucydide découle d'un cadeau que lui fit sa mère ,une édition ancienne des oeuvres de ce dernier. C'est à peine si elle s'arrête à ce détail, qui cependant fera son destin.
Mais revenons au personnage-phare du livre.
Il s'agit d'un très beau portrait de femme. Privée tôt de l'appui de sa propre mère, qu'elle perdit à 12 ans, à jamais défiante à l'égard d'un père volage et adultère, Jeanne fut tôt à elle-même sa propre mère et son propre père.
Mariée en 1909 à un intellectuel normalien et agrégé, elle sera veuve dès la première année de la "Grande Guerre", et élèvera seule Jacqueline, à une époque où les femmes sont encore d'éternelles mineures.
Ce malheur fut en un sens sa chance, car pourvue d'un caractère fort et entier, être seule à s'assumer ainsi que son enfant la libéra des chaînes que les femmes portaient quel que soit leur milieu. A travers les vicissitudes,Jeanne hissa Jacqueline vers les honneurs académiques qu'elle même n'atteignit jamais, bien qu'un début littéraire remarqué lui eût permis d'acquérir le statut de Femme de Lettres.
. Après la séparation entraînée par le prestigieux mariage de sa fille, la deuxième guerre mondiale la plaça de nouveau aux commandes de la destinée de Jacqueline, qu'elle sauva des persécutions antisémites grâce à ses amitiés et à son ingéniosité, car Jacqueline était de père juif et avait épousé un juif.Cela s'appelle sauver un destin. Mais avant même cela, elle avait posé une empreinte ineffaçable sur Jacqueline.
Dotée d'un tempérament artistique et douée de ses mains, elle construisit autour de sa fille dans l' enfance et l' adolescence un décor charmant et personnel dont le charme inimitable fut aussi peut-être intimidant : en tout cas Jacqueline ne transmit pas à son tour quelque chose de cette créativité bohème dans laquelle elle avait baigné En revanche elle semble avoir porté toute sa vie en elle l'image de cette mère solaire et esseulée.
Un livre qui approche avec une grande prudence et beaucoup de délicatesse les questions qui se posent sur la force des liens unissant une mère et sa fille, leurs conséquences sur la vie de chacune. Jacqueline de Romilly n'aurait-elle pas aimé que ces questions puissent être abordées du vivant de sa mère? il est permis de le penser. Mais Jacqueline elle-même ne se le serait pas permis, comme en témoigne l'elliptique douceur de celles qu'elle écrivit, en son oeuvre posthume.
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