Il n'est pas donné à tout le monde d'accepter sans inquiétude cette réalité si surprenante que constitue le bonheur.
Jeanne était agnostique et frondeuse ; mais j'ai découvert après coup qu'elle n'avait jamais cru à l'anéantissement de ceux qu'elle avait aimés. Elle croyait que nos exigences morales ont un sens ; elle croyait aussi que quelque chose subsiste après la mort, quelque chose à base d'amour.
Il promettait aussi, gentiment et en vers, de n'être plus jamais "méchant".
Pouvait-il l'être ? Certainement pas. Ses photographies montrent bien les yeux clairs et confiants de l'intellectuel de bonne foi, les lèvres charnues de l'homme heureux de vivre, et les vêtements fripés du distrait qui s'en moque. L'inattention seule pouvait lui servir de méchanceté.
La petite flamme toute droite et fière s'était éteinte, épuisée d'avoir trop lutté, mais brillante et claire jusqu'à la fin.
Les réussites de Jeanne, par leur diversité même, suggèrent non plus les facettes d'un diamant, mais un inutile chatoiement destiné à donner le change, à occuper la vie, à remporter sur le temps et la solitude mille petites victoires, pleines d'allant et de panache, mais sans cesse à recommencer.
…elle croyait aussi que quelque chose subsiste après la mort, quelque chose à base d'amour.
Là encore, en effet, il faut penser à la différence des époques. Il ne s'agissait pas alors de rester assis à écouter un transistor, ou même une chaîne de haute-fidélité : quand on aimait la musique, on la jouait. Et ce sérieux qui nous touche dans la jeunesse d'alors, au point de sembler en offrir une image un peu convenue et embellie, lui était, en fait, imposé par les circonstances.
Tout le drame de sa jeunesse mal entourée ne se traduisait que dans ce petit sourire à part, dans ce regard déjà ironique et dans ce tendre mouvement de retrait, de quelqu'un qui ne veut plus que l'on vienne le blesser.
On vit au jour le jour, pressé de petits problèmes qui valent pour tout de suite, ou pour demain : on ne pense vraiment au passé que lorsqu'on n'a plus d'avenir
La façon dont les gens nous traitent définissent ce que nous sommes à leurs yeux : ma vivante et brillante Jeanne devenait, vue par lui [le médecin], une loque anonyme.