Il détestait le travail de la terre. Atteindre sa majorité pour décider lui-même de son avenir avait été son principal objectif. Plus tard, il nous avait confié qu’il s’était « empressé » de vieillir pour ne plus subir une autorité parentale empirique.
Mon mari est mort, lui aussi. Il me manque énormément… Je n’ai jamais pu accepter son absence. Je vous l’avoue franchement, j’aurais préféré l’oublier complètement et refaire ma vie avec un autre homme. Tout aurait été bien plus simple pour moi. Avec un autre compagnon, j’aurais pu construire une nouvelle vie, élever des enfants qui auraient bousculé notre paisible quotidien. Une vie banale et linéaire, sans grandes surprises, avec des joies et des peines, comme dans toutes les familles, vous comprenez. Mais ne vous méprenez pas ! Je ne vais pas vous jouer le refrain de la veuve éplorée. Je ne vis pas dans l’ombre de son spectre, me pâmant devant sa photo jaunie posée sur le buffet, ou passant des heures dans un coin de cimetière jusqu’à la tombée du jour…
Je m’intéresse peu à cette foule remuante et bruyante, qui, du reste, ne me voit pas plus que je ne la vois. Je n’ai pas envie de côtoyer les gens, de leur parler et de supporter leurs jérémiades. J’ai besoin d’être seul ! Seul avec moi-même, seul avec mes souvenirs. Si autrefois le spectacle offert par la rue et les gares suscitait en moi un intérêt particulier, aujourd’hui ce divertissement me semble complètement futile et vide de sens. Je me serais bien passé de venir m’agglutiner à ces usagers pressés qui me poussent, me bousculent.