Mais l’article que j’ai découvert ensuite m’a interpellée : « Selon ces études, les personnes sourdes montrent une augmentation de leur capacité à traiter le mouvement visuel. Entre autres, elles sont plus rapides et précises à percevoir la direction du mouvement dans le champ visuel périphérique et elles produisent des ondes de potentiels évoqués visuels d’une plus grande amplitude. »
Orpheline. Oui, c’était sûrement ça que j’avais toujours éprouvé, le sentiment de n’appartenir à aucun monde. Pas assez sourde pour être rattachée à la culture sourde, pas assez entendante pour participer pleinement au monde des entendants. Tout tenait à ce que je me persuadais d’être ou de ne pas être. Les dommages collatéraux qui avaient salement ébréché mon ego et la confiance en moi étaient, pour les autres, des troubles orphelins qu’ils avaient du mal à comprendre. Est-ce que le manque qui m’habitait venait de là ? De cette absence qu’il fallait combler par l’excès ?
Puis il m'avait écrit cette phrase de Miles Davis : "La véritable musique est le silence et toutes les notes ne font qu'encadrer le silence", m'invitant à accepter que le silence était premier sur le son.
(...) deux cents ans de progrès technique pour m'expliquer quelque chose que je savais depuis toujours.
Même dans le service d'hospitalisation ORL, mal entendre relevait encore de la lutte des classes avec les entendants.
J'avais l'habitude de divaguer dans les silences et les mots perdus, me faire aspirer par la puissance imaginaire, mais cette fois le réel était tellement ébréché par les sons amenuis que les images s'incarnaient en moi avec une force nouvelle.
Le silence était un lieu où résider dans le langage. Le silence libérait des mots et des images que le langage retenait prisonniers.
Je la voyais sur le continent des entendants se désoler de me voir prendre le large vers les sourds insulaires.
J’ai longtemps réfléchi et je me suis dit que si le silence faisait partie du langage, il n’était pas son contraire mais une entité intrinsèque à la langue. Le silence était un lieu où résider dans le langage. Le silence libérait des mots et des images que le langage retenait prisonniers. Je n’étais donc pas perdue mais en chemin.
Un écrivain, pfff, il peut toujours recommencer quelque chose d’imparfait. La vie non, ce que nous avons vécu ne peut être ni corrigé ni jeté. C’est terrible.