Mai 68 et ses vies ultérieures

Réduire un mouvement de masse aux itinéraires de quelques-uns de ses soi-disant leaders, porte-parole ou représentants ( plus particulièrement ceux qui ont désavoué leurs "erreurs du passé" ), constitue une vieille tactique de confiscation, aussi efficace qu'éprouvée. Ainsi circonscrite, toute révolte collective est désamorcée, et donc réduite à l'angoisse existentielle de destinées individuelles. Elle se trouve ainsi confinée à un petit nombre de "personnalités" auxquelles les médias offrent d'innombrables occasions de réviser ou de réinventer leurs motivations d'origine.

Cependant, ce moment hors du temps que constitue précisément la grève générale, tout comme le vaste champ des possibles qui s'est alors ouvert dans le vif de l'action n'ont pas vraiment trouvé d'écho au sein des textes et des documents, pas plus en 1968 que par la suite.

Les historiens ont renoncé à leurs responsabilités et abandonné cet événement, plus qu'aucun autre, à toutes les manipulations médiatiques et politiques.

Au cours de cette période, la logique policière consistait à séparer les étudiants des travailleurs, à empêcher les contacts, à cantonner les étudiants dans le Quartier latin, ou encore à empêcher l'interaction étudiants-travailleurs lors de la bataille rangée qui prit place, entre autres, à l'usine de Flins au mois de juin. La violence avec laquelle cette tâche fut accomplie - que ce soit par les délégués syndicaux de la CGT, par de Gaulle, par le Parti communiste ou par la police elle-même - donne une idée de la menace qu'une telle politique représentait. Mai 68 était moins lié à l'identité et aux intérêts des étudiants en eux-mêmes qu'à une disjonction ou une fissure créée dans cette identité.