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Critique de afriqueah



Il est assez étrange que la personne qui accuse le doyen de la fac d'Athena de racisme, puis de sexisme, qui s'acharne à défendre les droits bafoués de plusieurs étudiantes, soit française. Philip Roth , en 2000, savait fort bien et le dit vers la fin de son livre « la Tache » que les mouvements des droits de l'homme, même s'ils ont mis du temps, sont tout de même nés aux Etats Unis. Et Delphine le reconnaît aussi elle-même, elle est petite joueuse devant les féministes américaines.

Cela ne l'empêche pas d'accuser de racisme, donc, Coleman Silk, le doyen aux qualités exceptionnelles, pour avoir qualifié de zombies deux étudiants. Manque de bol, ils sont noirs, ce qu'il ne pouvait savoir, puisqu'ils n'étaient jamais venus en cours.
Delphine Roux a brandi le drapeau racisme, sachant que personne n'allait dire c'est pas grave, ou prendre le parti de Coleman.
Qui démissionne.
Dont la femme , sous le choc, meurt subitement.
En tant que boxeur, KO.

Delphine Roux la française, qui s'est glorifiée toute sa vie d'être la meilleure, la plus sexy et la plus extrêmement intelligente, qui met bon ordre apparemment dans cette université qu'elle juge au dessous de ses capacités, qui prend sous son aile les défavorisées, qui abhorre les injustices, est en fait un parangon de puritanisme totalitaire. Une petite fille terrorisée qui veut s'intégrer, malgré son accent. Elle envoie une lettre anonyme à l'intéressé, pour ajouter à son accusation de racisme celle de l'exploitation abjecte d'une femme opprimée et illettrée. (Question de Coleman : est-ce une pratique française ? voir le Rouge et le Noir ? chez Balzac ? chez Stendhal ?)En cela, elle copie « les enfoirés à la vertu majuscule » que l'Amérique tout entière découvre en pataugeant durant l'été 1998 avec les ébats de Clinton.

Le spectre du terrorisme a remplacé celui du communisme, et est remplacé par le « spectre de la turlute », dit Roth, avec la soif d'accuser, de censurer et de punir, jusqu'à la nausée. Et Delphine qui veut surtout se sentir portée par l'air du temps, reproche à son supérieur, lui qui enseigne la littérature hellénique et latine avec splendeur, d'enseigner Hippolyte et Alceste, « qui dégradent l'image de la femme », au nom d'un prétendu humanisme. Aborder la tragédie grecque avec l'optique du new féminisme ne se ferait pas à l'ENS, rétorque-t-il, où personne ne prendrait ces balivernes au sérieux.

Le génie de Philip Roth ne réside pas seulement dans son acuité toujours actuelle , dans les descriptions détaillées ( la boxe pour Coleman, la traite des vaches pour le dernier amour de sa vie Faunia, les restaurants chinois, vus par Les Farley-« ces bridés, » les hélicos, les morts, le devoir de tuer au Vietnam - puis la pêche à travers la glace comme rite de purification)dans sa dénonciation d'un monde qu'il juge stupide, haïssable, exaspérant.
Il présente les personnages, puis revient, analyse, creuse encore, ré-analyse, revient sur le passé de chacun, et revient encore, jusqu'à nous donner une idée des caractères et de l'ambiance de l'époque. Et son passé.

Le passé ? page 114, j'ai cru avoir manqué d'attention. Coleman et sa famille noire, note innocemment l'auteur. Lui qui est accusé de racisme, Noir ? Aux Etats Unis, une seule goutte de sang noir ( one drop rule) suffit à les ranger d'un côté et à leur interdire certains restaurants, écoles, universités réservées aux seuls blancs, cela jusqu'en 1947 dans le New-jersey.
Coleman a choisi de mentir à tous et de se déclarer blanc.

Chef d'oeuvre absolu par sa prose lyrique, ses longues études de caractère, la présence au bout du compte de la solitude et de la mort, ses idées résolument non-conformistes, son analyse du puritanisme intolérant, au nom des grands combats pour l'égalité, le monde de l'Amérique entremêlant la difficulté de se créer un espace, la révolte compréhensible des ex du Vietnam, qui ont tué , comme Les Farley, avec une rage comparable à celle d'Achille, le rejet progressif des enfants de Coleman, et, sur fond de ségrégation à laquelle beaucoup de « Noirs »voulaient et devaient échapper, pour survivre, pour s'élever dans l'échelle sociale, comme Coleman, l'évolution des moeurs.
Deux ambitions, celle de Delphine ravagée dans un combat douteux, celle de Coleman pris à son propre piège et qui, miracle, vit l'émoi comparable à celui du héros de Mort à Venise, « l'aventure tardive des sentiments ».
Deux destins ratés, celui de Les Farley, aux prises avec ses démons retour du Vietnam, celui de Faunia, son ex-femme, femme de ménage qui a perdu 2 enfants.

Sur une île déserte ? Oui.
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