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Critique de HordeDuContrevent


« Soyons inexplicablement heureux ».

Voilà un livre profondément aimé, aimé que j'aimerais pouvoir écrire ici en italique, aimé prononcé avec non pas le ton d'un lecteur curieux de n'importe quel texte un tantinet différent, un tantinet poétique, aimé dans le sens d'une vraie rencontre, d'un échange, de mots qui transforment, quelque chose à la limite de l'indicible, de l'informulé, pourtant bien présent en filigrane. Un air lancinant qui habite tout homme et toute femme, même entouré, un air de la solitude, une fatalité. Cet absolu de la solitude qui « n'est pas dans ces hauts lieux déserts, il est parmi les hommes ».

Un livre écrit en 1945 par le poète Gustave Roud, rassemblant des textes parus à partir de la fin des années 1920, un livre au charme suranné d'un doux sépia vert-de-gris, qui, en chantant la campagne, les paysages suisses du Jorat vaudois entourant le village de Carouge où il vécut, le dur labeur, les saisons, la maladie et l'amitié, nous parle de l'universel. Réédité en 2022 aux éditions Zoé Poche, préfacé par Marie-Hélène Lafon, regroupant pensées et observations, extraits de correspondances, journal, photos de la paysannerie suisse, ce petit livre me suit et me nourrit partout, n'importe quand, depuis quelques semaines maintenant.

Émerveillée par certaines scènes, j'ai du mal à trouver les mots pour qualifier les sensations qui pourtant éclatent en moi de façon indubitable. Comme un art de savoir associer le labeur, les douleurs, l'âpreté, la fugacité aux beautés éternelles. Marie-Hélène Lafon le dit bien mieux que moi : « je Lis Air de la solitude comme on remonterait à la source du brouillard, je lis à tâtons, je flaire des relents de vieilles douleurs et de fastes embellies ». Il réunit la temporalité à l'immortalité, le fini à l'infini, Gustave Roud joint la beauté au monde paysan auquel il est attaché et reconnaissant. Voyez ce bucheron blessé, affaibli, alité, sentez ce qui se passe dans cette chambre :

« le bûcheron en s'éveillant de son premier sommeil depuis des nuits ose enfin tourner la tête vers la petite fenêtre au fond de sa chambre. Il voit un morceau de colline lavé par les pluies, d'un vert doux un peu jaune, et sur le gris du ciel la fine gerbe de ramures d'un pommier solitaire. Une molle vague de vent tiède roule au long des murs jusqu'à son visage. Il rêve. Mars ? Avril ? Demain il rouvrira les yeux avec surprise, baigné d'une lumière pâle et froide comme la craie ; son fils, tout noir contre la fenêtre aveuglante, les lèvres aux carreaux, fera périr de sa seule haleine tout un jardin de givre qui renait sans cesse. Il fait triste et il fait bon dans cette chambre étroite ».

Ce n'est pas une poésie faite d'élans enflammés, de circonvolutions, d'excès passionnés, oh non, c'est une poésie simple, sérieuse, austère même, très singulière. Une poésie aux pâles couleurs douces. Une poésie qui sait se rendre essentielle pour rendre compte du primordial, de la plénitude du monde et de son harmonie paradisiaque. Une poésie sans excès mais au lyrisme contenu, à l'image des hommes et des femmes sur lesquels il porte le regard, ces hommes et ces femmes aux vies ouvertes comme des fleurs qu'il « cueille une à une du coeur ou du regard ».

Un recueil sur la signification même de la poésie, sa façon de la ressentir, de l'atteindre, cet « instant suprême où la communion avec le monde nous est donnée, où l'univers cesse d'être un spectacle parfaitement lisible, entièrement inane, pour devenir une immense gerbe de messages, un concert sans cesse recommencé de cris, de chants, de gestes, où tout être, toute chose est à la fois signe et porteur de signe ».

Vivre les saisons, adopter le rythme de la nature, faire l'éloge du labeur paysan, tel est le contenu des propos de Gustave Roud. En apparence, ou disons pas seulement…« le Paradis est dispersé sur toute la terre, c'est pourquoi on ne le reconnaît plus. Il faut réunir ses traits épars. » Voilà le vrai rôle du poète, la mission de Gustave Roud.

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