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Critique de Franz


Sur la route.
Fragments de vie pris au vol et au gré des promenades dans la campagne vaudoise, consignés dans des calepins et travaillés à l'étude pour nourrir de plus amples textes poétiques, "Air de la solitude" (1945) ne déroge pas à la manière de faire du poète helvète Gustave Roud (1897-1976). Tous les écrits nés du glanage des chemins qui ensemence un regard cultivé, mélancolique, grand ouvert, insèrent les pépites relevées comme les fétus d'un paradis révolu, dispersé, pulsant encore aux marges du monde. le travail de haute couture du poète n'arrive toutefois pas à totalement les dissimuler. Elles surgissent à la lecture et on a envie de les consigner tant ces trouvailles chantent encore : "Voici le banc où je m'assieds sans rompre l'accueil des oiseaux... La fontaine chante et perd haleine à chaque assaut du vent." (p. 18) Les notations sont prises sur le vif. Elles disent le vécu du marcheur : "...ce mince banc de bois rêche... (p. 22) évoque par ses sonorités la rugosité et la fragilité associées. Dans un flux d'échanges entre le monde et l'intériorité naît l'inspiration comme une illumination. le poète pourrait exprimer ses satoris dans des formes brèves, denses, vives à l'instar de l'haïku ; il préfère user d'une langue classique, le français de la Suisse occidentale et lui donner de l'ampleur à partir d'une ligne mélodique continue. La retenue du poète n'éteint pas pour autant les couleurs : "Je me rappelle ce champ sur la colline, de très loin tout pareil à un rivage de sable fauve où venait déferler le bleu du ciel, un bleu rompu de violet et de rose et qui prenait, à toucher cette moisson mûrissante, une sorte de terrestre pesanteur."(p. 36) La transmutation est d'autant plus troublante qu'elle surgit de l'observation d'éléments naturels mis à la portée de tous, sans ajout de béquilles stylistiques ou de procédés convenus. Gustave Roud n'appréciait pas le surréalisme et l'hyperbole. Son verbe simple, mesuré, mélodique est incantatoire.
Les éditions suisses Zoé ont fait paraître en 2022 en format poche "Air de la solitude", préfacé par Marie-Hélène Lafon, illustré de photographies noir et blanc de Gustave Roud. le poète était aussi photographe et il a réalisé 13 000 clichés de paysages et de corps masculins au travail dans les champs. Si la lecture du recueil demeure stimulante à travers les observations de terrain, elle se nimbe d'une profonde mélancolie quand le poète suggère son mal-être et sa solitude. L'impossibilité d'exprimer et de vivre une homosexualité constamment refoulée donne parfois l'impression au lecteur de manquer d'air.  On ne peut que s'attacher à un homme qui transcende ainsi en oeuvre d'art son malheur de ne pas pouvoir aimer.
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