AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de michfred


Je ne connaissais de Jean Dasté que son long visage taillé à la serpe, son regard de braise adouci par une bouche souriante et généreuse. Un coeur de saltimbanque dans un corps de métallo.

D'ailleurs vous le connaissez tous : le marinier de l'Atalante, le pion fantasque de Zéro de conduite, deux films de son cher Jean Vigo, disparu trop tôt, c'était lui ! Nous connaissons l'acteur de cinéma, ce septième art dont il fut le compagnon doué et occasionnel : sa vraie passion était ailleurs.

Elle n'avait qu'un nom : le théâtre !

Le très beau livre de Hugues Rousset, professeur en médecine interne, stéphanois, et fan de la première heure de Dasté et de sa Comédie de Saint Etienne, m'a fait découvrir de façon exhaustive et très documentée l'homme des planches. Et beaucoup plus que cela : un homme, un parcours, une formation, une expérience, des exigences, des convictions.

Une époque, aussi : celle du théâtre décentralisé, populaire et militant de l'après guerre et de l'avant 68.

Si Jean Dasté avait écrit pour le théâtre, on pourrait le comparer à Molière-dont il joua le grand-père dans le merveilleux « Molière » d'Ariane Mnouchkine. Un bel hommage : c'est le personnage de sa famille qui soutint le plus le jeune Molière dans sa vocation!

Comme Jean-Baptiste, Dasté est gagné très tôt par la passion du théâtre, quitte tout pour le pratiquer : d'abord comme technicien, puis comme figurant et enfin comme acteur , meneur de troupe, metteur en scène, fondateur d'une école d'art dramatique, et directeur d'un grand théâtre populaire.

Comme lui, il fonde une troupe, sillonne les routes de campagne, plante ses tréteaux sur les places des petits villages, couche chez l'habitant, squatte des granges ou des usines désaffectées, recrute et forme ses comédiens en leur faisant pratiquer le mime, l'improvisation, le masque, l'acrobatie, la gestuelle.

Comme lui, il va au-devant du public, explique, défend, échange, discute et ... conquiert la ferveur des simples qui se reconnaissent dans ce théâtre humain, vivant, qui parle d'eux et qui les élève en douceur, sans la moindre condescendance, vers des textes difficiles parfois, des univers dépaysants et des cultures différentes.

La trajectoire de Jean Dasté a pour toile de fond l'expérience de décentralisation initiée, dans l'immédiat après guerre, sur le modèle de la politique culturelle du front populaire qu'avaient incarnée Jean Zay et Léo Lagrange.

Pour que la citrouille devienne carrosse, que la joyeuse troupe de copains devienne une Compagnie digne de ce beau nom –on y partage le pain de la culture et du plaisir scénique- il faut deux fées marraines : deux rencontres décisives.

Dasté fait la rencontre d'un « père » de théâtre : Jacques Copeau, dont il épouse la fille, Marie-Hélène, et d'une « mère » de théâtre –qui sera d'ailleurs celle de toute une génération de metteurs en scène et de meneurs de troupe- , l'extraordinaire Jeanne Laurent, haut fonctionnaire au Ministère de l'Education, au Bureau des spectacles et de la Musique, à la Direction Générale des Beaux-Arts en 1945.

Et roule le chariot de Thespis !

De compagnie en compagnie, des Copiaus itinérants à l'installation dans les locaux de l'Ecole des Mines de Saint Etienne, une route magique et pleine de surprises s'ouvre pour Dasté.

Il fera jouer le rôle d'Ariel dans la Tempête par la jeune Delphine Seyrig, qui sera aussi Chérubin dans le Mariage de Figaro. Il confiera musique et chansons à son gendre, Graeme Allwright, formera des comédiens extraordinaires comme Alain Françon et André Marcon, deux "stéphanois » de souche. Fera découvrir la beauté et la force du théâtre Nô, lancera en France la passion pour Brecht avec son Cercle de craie caucasien, décrié par les ayatollahs de Brecht, Hélène Weigel en tête, mais porté aux nues par le public et joué plus de cent fois !

Les photos de Ito Josué et Louis Caterin sont magnifiques: quelle émotion de découvrir le vrai visage d'un public populaire, attentif, passionné, attendri, sur fond de "crassiers" stéphanois empanachés de fumées.... Josué et Caterin sont aussi des photographes de plateau hors pair: ils mettent des images sur le parcours exemplaire de Dasté à Saint Etienne, leur pellicule va fixer chaque représentation.

Parcours qui va s'interrompre après 17 ans, sans se briser : le théâtre parisien, les mises en scène ésotériques et élitistes, le parisianisme mais surtout la manie administrative et centralisatrice française feront capoter quasiment toutes les expériences de théâtre provincial populaire qui avaient pourtant fait la preuve de leur réussite.

Le vieux baladin continuera seul : il joue dans les films de Truffaut, Costa-Gavras, Resnais, Tavernier, Brisseau…et dans le Molière de Mnouchkine, déjà nommé…

Il ne lâche pas le théâtre – il ne le lâchera jamais : il donne des récitals, en solo ou avec quelques fidèles –lectures, masques, marionnettes, morceaux choisis – sa générosité, sa simplicité son humanité lui vaudront de conserver intacte la faveur de ce public qu'il avait cherché, écouté, compris et ouvert à d'autres horizons.

La récompense, tardive, viendra avec un Molière d'honneur, en 1993, il avait presque quatre-vingt-dix ans mais Dasté n'ira pas : il n'aime pas les hommages. Il s'éteint peu après.

Comme disait Antoine Vitez, l'acteur est un poète qui écrit sur le sable..

Un très beau livre, précis, documenté, un peu trop touffu peut-être et que son souci d'exhaustivité conduit parfois à des répétitions.

Mais un livre plein d'enseignement qui nous dit simplement des choses passionnantes et dignes de réflexion sur les politiques culturelles qui peuvent être la meilleure ou la pire des choses..la plupart du temps, tellement assujetties à des contraintes financières qu'elles deviennent la cinquième roue de la charrette…

Et le chariot de Thespis, avec cinq roues, ça marche beaucoup moins bien, forcément.

Je remercie vivement les Éditions Actes Graphiques et Masse critique de Babelio pour m'avoir offert ce voyage dans le monde du théâtre- que j'adore à ma modeste place de lectrice et de spectatrice!

Commenter  J’apprécie          130



Ont apprécié cette critique (12)voir plus




{* *}