— Un problème?
— En quoi ça te regarde ? répondit-elle du tac au tac.
Elle se sentit aussitôt honteuse, pourtant c'était épidermique. Quelque chose chez Anatole lui donnait envie de laisser libre cours à sa colère. Cet air de pouvoir tout comprendre, tout excuser. Sa constance à la Maître Yoda faisait plutôt naître en elle des pulsions agressives, si bien que ses récentes bonnes résolutions - faire des efforts à son égard - s'évanouirent.
Clara, par quelques mots chaleureusement choisis, avait su mener la conversation des banalités aux confidences. Et Adèle n'avait pas lutté, comme bercée par la voix, la présence et la gentillesse de la jeune femme.
Durant de longues minutes, elle avait vidé son sac, pleuré son enfance cabossée, son quotidien vain et vide de sens. Elle s'était livrée, avait évoqué ses doutes, ses blessures, et cette vie à venir qu'elle devinait toujours plus morne. Sa résignation face au bus qui s'était présenté devant elle, l'embryon de révolte involontaire qui l'avait menée jusqu'à ses racines et sa volonté naissante d'enfin affronter le passé pour tenter d'avancer, peut-être. Mais pour quoi faire ? Bon sang ! Comment était-elle censée emplir sa vie ? Elle voulait trouver un mode d'emploi !
𝑬𝒔𝒕-𝒄𝒆 𝒄𝒆𝒍𝒂 𝒒𝒖𝒆 𝒍’𝒐𝒏 𝒓𝒆𝒔𝒔𝒆𝒏𝒕 𝒂𝒗𝒂𝒏𝒕 𝒅𝒆 𝒔𝒆 𝒋𝒆𝒕𝒆𝒓 𝒆𝒏 𝒆́𝒍𝒂𝒔𝒕𝒊𝒒𝒖𝒆 𝒅𝒖 𝒉𝒂𝒖𝒕 𝒅’𝒖𝒏 𝒑𝒐𝒏𝒕 ? 𝑼𝒏 𝒅𝒐𝒖𝒙 𝒎𝒆́𝒍𝒂𝒏𝒈𝒆 𝒅’𝒂𝒑𝒑𝒓𝒆́𝒉𝒆𝒏𝒔𝒊𝒐𝒏 𝒈𝒓𝒊𝒔𝒂𝒏𝒕𝒆, 𝒅𝒆 𝒔𝒕𝒓𝒆𝒔𝒔, 𝒅’𝒆𝒏𝒗𝒊𝒆 𝒆𝒕 𝒅𝒆 𝒑𝒆𝒖𝒓 ? 𝑪𝒆𝒕 𝒆𝒔𝒑𝒂𝒄𝒆 𝒎𝒊𝒏𝒖𝒔𝒄𝒖𝒍𝒆 𝒐𝒖̀ 𝒊𝒍 𝒆𝒔𝒕 𝒆𝒏𝒄𝒐𝒓𝒆 𝒑𝒐𝒔𝒔𝒊𝒃𝒍𝒆 𝒅𝒆 𝒓𝒆𝒏𝒐𝒏𝒄𝒆𝒓 𝒂𝒍𝒐𝒓𝒔 𝒒𝒖’𝒖𝒏𝒆 𝒎𝒂𝒊𝒏 𝒊𝒏𝒗𝒊𝒔𝒊𝒃𝒍𝒆 𝒏𝒐𝒖𝒔 𝒑𝒐𝒖𝒔𝒔𝒆 𝒂̀ 𝒂𝒗𝒂𝒏𝒄𝒆𝒓 ?
Gabriel avait levé les yeux sur Adèle et elle s'était sentie touchée par la gentillesse qui émanait du regard de celui devenu un ami sincère.
En fixant les ombres au plafond, elle repensa aux vagues sombres, au ciel bleu, au vent et aux odeurs, comme celle des tilleuls du jardin, si profondément ancrées en elle. Quelle idiote elle avait été de penser qu'elle pourrait enfouir son histoire éternellement, comme on cache un objet au fond du cagibi ou que l'on recouvre un papier peint par un autre.
C'était quand même fort ! Elle venait se terrer au fin fond de la France parce que sa vie se délitait et ne rimait à rien, et elle allait devoir rendre des comptes à un type qu'elle ne connaissait pas, car une fille encore plus paumée qu'elle avait choisi son « spot » pour se suicider !