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Critique de Lucilou


J'avais envie d'un peu de magie après avoir enchaîné quelques romans, certes magnifiques, mais d'une noirceur à fendre l'âme, à mi-chemin entre la violence d'un film de Jacques Audiard et la douleur d'un de ceux des frères Dardenne.

Et puis, je suis de la génération de Harry, celle qui a découvert et adoré "Harry Potter à l'école des sorciers" lors de sa sortie française en 1998 -j'avais 10 ans, presque comme le rejeton des Potter-, celle qui a attendu les quatre derniers tomes comme d'autres attendent le messie, celle qui a rêvé sa lettre d'admission à Poudlard et mis des posters des films dans sa chambre de pré-ado.
Alors quand j'ai su que J.K. Rowling après ses incursions dans la littérature adulte s'offrait un nouveau détour du côté des romans jeunesse, j'ai succombé, surtout après avoir entendu dire de son nouvel ouvrage qu'il tenait diablement du conte et que le propos en était aussi engagé qu'intelligent.
Et cette couverture...

Certes, j'avais quelques craintes aussi en ouvrant "l'Ickabog": celle d'être déçue, celle de ne pas parvenir à attendre autres choses que variations poudlaresques, celle de me sentir trop vieille pour le livre, celle de réaliser que J.K. Rowling surfe sur sa popularité sans rien proposer de vraiment bon...

Et puis j'ai lu et c'est avec bonheur que je me suis sentie complètement happée par l'histoire: celle du royaume de Cornucopia dont tous les habitants -ou presque- vivaient dans le bonheur et l'abondance sous le règne du très beau et très aimé roi Fred-Sans-Effroi jusqu'au jour où un berger venu du nord du pays, là où la terre est infertile et brumeuse, s'en est venu annoncer que l'Ickabog, ce monstre de légendes destiné à faire peur aux enfants, était bel et bien réel et qu'il s'en prenait aux hommes (et aux chiens)...

A dater de ce jour funeste, plus rien ne fut jamais pareil en Cornucopia: des soldats partirent en guerre, le fils d'une pâtissière se fâcha avec la fille d'une couturière, un menuisier devint presque fou, les orphelins et les meurtres essaimèrent tandis que planait, comme une perpétuelle menace, l'ombre noire de l'Ickabog sanguinaire.

Il faudra tout le courage d'une poignée de sujets du roi Fred pour ramener la paix dans le petit royaume.
Pour y ramener aussi lucidité, réflexion et intelligence et pour y faire comprendre que les monstres ne sont pas toujours ceux qu'on croit.

"L'Ickabog" est un conte, un vrai de vrai avec son lot de personnages fantasques et un poil caricaturaux, la cartographie presque merveilleuse de Cornucopia et ses odeurs de fromages et de pâtisserie qui régalera les enfants, à n'en pas douter.
Il possède également cette touche d'humour propre à son auteur qui ne peut que réjouir chacun de ses lecteurs. Moi j'ai ri à chaque cocasserie.
L'intrigue est romanesque au possible, bien traitée et construite avec pas mal de finesse et beaucoup d'efficacité. La narration qui alterne points de vue et focalisation, qui sait doser et ménager le suspense à grands coups de "s'ils avaient su" et qui joue avec un art consommé des ellipses temporelles est un délice qui ne s'amoindrit qu'à la toute fin du roman que j'ai trouvé trop rapide et trop précipitée.

En sus de tout cela, de ces qualités littéraires, "L'Ickabog" est également et surtout une formidable fable politique sur les abus de pouvoir, les mensonges d'état, la terreur et la corruption entraînés par un régime autoritaire sinon totalitaire qui amène à réfléchir et à s'interroger; qui se fait aussi le chantre de l'esprit critique et de la réflexion.
Difficile de ne pas le lire à la lumière de notre époque pour le moins troublée, où les fake news fleurissent aussi vivement que les polémiques dont les journaux ne gardent souvent que l'aspect fracassant sans pousser plus loin la cogitation... Mal du siècle!

Cet aspect du roman est d'autant plus savoureux et intelligent qu'il ne s'encombre pas d'une gangue moralisatrice -ce que je supporte toujours assez mal- mais bel et bien d'une aura romanesque palpitante qui m'a personnellement fait passer un excellent moment plein de magie tout en me confortant dans quelques idées sur la vérité et le pouvoir et en me poussant à toujours vouloir encourager l'esprit critique, où qu'il veuille et puisse bien se loger.

Ce n'est pas tout à fait du Voltaire mais on s'en rapproche un peu, les effluves de nacelles-de-fées et les grands yeux tristes de l'Ickabog en plus.
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