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Critique de Patsales


C'est peu de dire que j'ai d'abord adoré ce récit de voyage au rebours du Danube avec tout ce qui fait aimer le genre et même plus. Soit deux fous de la petite reine, une Europe kusturicienne (selon le mot de l'auteur), un parcours à inventer pour suivre au plus près un fleuve au delta capricieux en évitant les grands-routes secouées par des camions furieux, de fréquentes bitures et beaucoup d'acide lactique. Ajoutons à cela une connaissance quasi-encyclopédique de l'histoire des Balkans (et environs) et un amour revendiqué de la géographie capable de lire les paysages d'un oeil aussi expert que gourmand. Et surtout une langue riche, bigarrée, exaltée, qui entraîne le lecteur au long cours des 600 pages d'un périple trans-européen.
Mais. Car il y a un mais et même plusieurs.
Suivre un fleuve ne devrait pas empêcher les escapades et autres accidents de parcours. Sans errances, pas de vrai voyage. Or, si Emmanuel Ruben change parfois d'itinéraire, il maintient le cap : sous le roman-fleuve, l'intention.
Commençons par le péché véniel : la vitesse. Vlad et Emmanuel aiment avaler les kilomètres et ne se déroutent pas quand la moyenne est en jeu.
Mais cette obsession à respecter un programme établi a moins à voir avec la nécessité qu'avec les préjugés. L'auteur juge sévèrement l'Europe, forteresse cadenassée qui oublie ses origines métissées pour se vautrer dans le confort bourgeois en réécrivant son histoire. Et il n'a vraiment pas de pot car tout ce qu'il voit et tous ceux qu'ils rencontrent le confortent dans ce diagnostic.
À moins que ce soit moins le pot qui manque que l'ouverture aux autres, comme Ruben finit par le reconnaître dans un mea-culpa inconscient confondant de naïveté : « nous comprenons que depuis Vienne, nous n'avons pas eu de réelle conversation avec un autochtone – il y a eu Mila, la tenancière du Biergarten, du côté d'Ybbs, mais elle venait de Croatie, sinon, chaque fois que nous avons causé avec quelqu'un, c'était pour une transaction commerciale, et les seuls êtres humains qui nous ont vraiment regardés, ce que l'on appelle regarder, avec une curiosité non dissimulée, ce sont ces réfugiés ». Eh oui: revoilà la bonne vieille guerre entre nomades et sédentaires, et Ruben certain que seuls les autochtones sont responsables de son voyage sans paroles ni rencontres…
Il faut dire qu'il pédale aussi à contre-courant dans le but avoué de retrouver son enfance. Et à vouloir chercher ce qu'il est venu trouver, enfance idéalisée et Europe dénigrée, Emmanuel Ruben s'égare de ne pas s'égarer et conforte ses obsessions.
La même maladresse préside à l'organisation du livre. Désireux d'écrire un récit qui épouse le cours changeant du Danube, l'auteur bouscule la chronologie de son périple sans que le livre s'en porte mieux : mais « quelle est la forme idéale que doit adopter un livre sur le Danube ? Doit-il être un atlas, un éventail, un paravent, un millefeuille, un rouleau brut sans chapitres et sans alinéas, un flot de paroles sans queue ni tête, un dictionnaire amoureux, où l'on jetterait l'ancre au petit bonheur la chance ? En tout cas, pas un livre qui commencerait par un début et se terminerait par une fin, pas un livre se déroulant comme un long fleuve tranquille, de la source à l'embouchure. ». Emmanuel ne déroge ni à ses plans ni à ses a priori : il a décidé que la chronologie ne convenait pas au Danube, que les Européens n'aimaient pas les étrangers et qu'il était nécessaire de faire chaque jour le kilométrage prévu.
Alors, normalement, cet entêtement devrait m'exaspérer au plus haut point. Et pourtant, malgré tout, la magie opère. «La vie nomade est un enchantement de tous les instants, car c'est une vie réglée sur la rotation terrestre. Se coucher avec le soleil et se réveiller avec lui : les voyages au long cours ont ce pouvoir de nous raccorder aux grandes orgues du cosmos et de nous rappeler que nous ne sommes que de la poussière d'étoiles s'agitant dans le vent ; tout le charme du bivouac est dans l'allégresse de ces retrouvailles avec les éléments bruts composant le chant premier du monde ; rien d'autre ici que le feu du soleil, l'argile de la terre, l'eau du fleuve et le bleu du ciel. À 6 heures pétantes, nous avons enfourché nos bécanes. Notre premier regard a été pour le Danube en contrebas et pour cet astre éclatant qui paraissait renaître du fleuve où il s'était noyé hier, comme si, tandis que nous dormions sous nos toiles de tente à l'abri de l'orage, lui passait la nuit drapé dans le lit fluvial, sous le duvet cendré des saules. »
Et toc. 4 étoiles.
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