AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Glaneurdelivres


Son père lui avait dit : « Petiot…
Fais jamais confiance à personne. Fais jamais confiance à personne. Fais confiance qu'à toi-même.
Surtout, t'as jamais le droit de te laisser traiter comme de la merde,
tu piges ? Faut que tu sois fort. Promets-le moi. »
Donc, il lui avait promis.

Ce fils, c'est Vandam. Il est peintre en bâtiment. « L'Histoire du monde, c'est rien d'autre que de la superposition, du ponçage, de la dilution et de la peinture. (…) Couche sur couche. Bataille sur bataille. Récit sur récit. »
Il vit dans une cité du nord de Prague, où les immeubles sont construits en panneaux de béton préfabriqués selon l'architecture communiste des années 1960 à 1980. C'est lui le narrateur de ce roman. Il est fier d'habiter dans cette cité, car son père et son grand-père ont participé à sa construction, et il a du respect pour ses anciens.

Vandam, c'est son surnom, ridicule… Depuis qu'il a visionné, du temps des communistes, des films de Jean-Claude van Damme sur son vieux magnéto à cassettes VHS, il est devenu fan et grand admirateur de cette star belge du cinéma d'action des années 1990. Tout comme lui, il fait des pompes et il boxe.
Il a la même façon de s'exprimer aussi, avec ce langage populaire rudimentaire et sans finesse d'un garçon de banlieue -un langage au vocabulaire limité, brut, direct, cru, grossier et vulgaire.

Pour lui, il est nécessaire de garder la forme, d'entretenir son corps, ses muscles, et son moral, pour pouvoir affronter une nouvelle éventuelle guerre, ou un nouveau conflit. « La paix n'est qu'une pause entre deux guerres », lui disait sa grand-mère !
« Mais moi je sais comment c'est. Je sens que ça fond comme les glaciers. Que de nouvelles batailles se préparent. », ce sont les mots de Vandam. Il est convaincu de ce qu'il dit, mais en fait, il est de mauvaise foi ! Il s'illusionne sur lui-même !
On est dans la décennie de 2003 à 2013... La Révolution de velours a eu lieu en novembre 1989.
Voilà déjà une quinzaine d'années que les communistes ne sont plus aux commandes du pays.
La démocratie s'est installée. Mais il ne fait toujours pas confiance aux dirigeants politiques...
« Ils te mettent dans le crâne que capitalisme égale liberté et démocratie. Ils te mettent dans le crâne qu'il n'existe rien de meilleur que ça. Et si tu dis qu'il existe peut-être quelque chose de meilleur, t'es tout de suite un communiste ou un nazi. »
Après toutes ces années vécues sous un régime totalitaire, Vandam est en manque de repères.
En fait, il n'a pas évolué. Il glorifie encore les soldats germains et romains qui combattaient en l'An 9 !
Pendant les matchs, il fait aussi le salut romain. Vandam est un frustré.
Sa radicalité fait peur.
Dans la vie de tous les jours on n'aimerait pas le rencontrer !

Tout au long du roman, on a l'impression qu'il soliloque, mais, en réalité, les mots qu'il débite comme une mitraillette, s'adressent à son fils.
Il lui dicte la conduite qu'il doit tenir dans la vie, tout comme son père lui avait demandé, à lui précédemment : « Tu devrais écouter que toi-même. Que tes instincts. Pas le cerveau. Les instincts. » Avec un discours violent et obsédant, il l'incite à se bouger, à s'endurcir, à savoir se battre, dans le but de se sentir fort, de ne pas être celui qui subit, de ne pas être « un mi-homme » !
Vandam veut être un exemple aux yeux de son fils, alors que lui-même n'est qu'un minable, xénophobe et hypernationaliste. Il est pathétique !

Trois lieux s'avèrent importants pour lui, dans sa vie :
la forêt (où l'orme est « La porte d'un ailleurs »), la cité elle-même, et une taverne.
La forêt, c'est un lieu de mémoire familial tragique pour lui (sa mère s'y serait perdue, étant devenue folle après que son mari, alcoolique, y ait été retrouvé pendu) ; - la cité, parce qu'il y a ses habitudes et qu'il y a ses souvenirs de famille ; - et la taverne, un lieu qui lui permet de se lâcher, d'évacuer ses tensions, en compagnie de son ami Mrazak, et de Lucka, la tenancière pour laquelle il a le béguin.
Dans une partie du roman qui s'intitule « Cicatrices », Lucka et Vandam se retrouvent tous les deux, au lit. Chacun exprime son mal-être et sa solitude… A tour de rôle, chacun parle de sa vie cabossée et chaotique, de son enfant, de la difficulté de l'éduquer… Lucka va lui apprendre qu'elle a vécu au sein d'une communauté : « A l'époque, tous les Tchèques voulaient être des Celtes. »

Ce roman est écrit avec des phases courtes, qui s'enchainent. C'est très rythmé. Des mots et des phrases se répètent… C'est entêtant. Ca bouscule. Ca convient bien au personnage de notre narrateur, qui est en marge, ne tient pas en place, trépigne et parle comme un enragé.
A la lecture, on se sent comme essoufflé ! Ca se lit facilement, rapidement, et c'est captivant.

Des passages sont drôles, notamment avec l'évocation d'un Noël en famille, où son père a des soucis avec un « porc-chou-boulettes » (plat national tchèque) -l'épisode aussi, de sa castagne dans la taverne avec un gros gars venu de la province, vaut le coup ! D'autres passages sont émouvants, et nostalgiques. Outre son côté bagarreur, et sa façon de s'exprimer très directe et brutale, ce gars en marge de la société, semble néanmoins avoir quelques valeurs morales. Il sait faire preuve de respect, et de courage. Il est courageux, mais il lutte contre ses propres limites. Il a un charisme certain, mais en définitive, il ne charme pas, il sidère !
Quand il se bagarre avec quelqu'un, pour lui ce n'est pas de façon gratuite, non, il considère qu'il agit en justicier, pour le bien ! Il sait esquiver les coups, est bon tacticien et il se compare aisément à Jan Zizka (ce héros national tchèque, chef de guerre hussite, et grand stratège) !
Il règle leurs comptes, aux personnes arrogantes et irrespectueuses des règles, quand lui-même transgresse les normes par son comportement déviant ! Il n'y a plus que hargne et rage en lui, qui est abimé par la vie.

Ce roman est aussi rempli de références à l'Histoire tchèque, à sa littérature, à ses émissions télé, à sa cuisine et ses boissons, à la chasse, etc.
Et on découvre un peu ce qu'est « l'humour tchèque » …

A la taverne, un moment, on a l'impression de se retrouver en compagnie des piliers de brasserie palabreurs, des personnages des romans de Bohumil Hrabal ou encore de Vladimir Tresnak, avec de franches rigolades collectives, mais ici les propos dérivent et deviennent -rageurs, envers ceux et celles qui ne les ont pas compris (les femmes, les hommes politiques), -machistes, et -xénophobes.
Les exagérations, les grossièretés, fusent, l'alcool aidant, comme pour se libérer des tensions accumulées et des désagréments de la vie : « Quand y a rien qui va, on peut s'en remettre en picolant. Faut que t'apprenne à te remettre de tout en picolant. »
Vandam n'aime pas ceux « qui se la jouent », ni « les forts en gueule ». Il les remet à leurs places avec des coups de poings bien décochés, qui « font mouche ». Mais un jour, à force de jouer aux justiciers, les choses ne vont pas tourner à son avantage… Et la dernière partie du livre est inattendue !
Lors de la Révolution de velours, il était dans l'« Avenue nationale », en droite ligne ; c'est lui qui a donné le 1er coup ! Il est fier de cela, et se vante d'avoir entraîné la chute du communisme tchèque !

Je sors un peu étourdi de ce livre ! « Avenue nationale » est un drôle d'objet littéraire, inclassable, violent car sans concessions, et tellement fascinant en même temps !
Je suis admiratif du style particulièrement atypique de Jaroslav Rudis.
J'avais précédemment beaucoup aimé son roman graphique « Alois Nebel », mais ici c'est encore autre chose et c'est davantage puissant.
Cet anti-héros, qui nous inspire de la répulsion, est en fait un laisser pour compte du monde moderne, qui fait partie d'un prolétariat déchu.
Ce livre, paru en français en 2016, donne à réfléchir sur la montée du populisme dans les pays de l'Est. Il est tout à fait d'actualité !
Commenter  J’apprécie          2719



Ont apprécié cette critique (24)voir plus




{* *}