AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de HundredDreams


Avec « Retour à Birkenau », je suis partie à la rencontre de Ginette Kolinka et de son histoire. Ginette Kolinka fait partie des survivants des camps de la mort, contrairement à son père, son frère et son neveu, déportés avec elle et qui feront partie des millions de victimes de la Shoah.
A ses côtés, j'ai pénétré dans le camp de Birkenau. Je l'ai écouté avec attention me raconter l'histoire de sa déportation, de ces longs mois passés dans le camp de concentration d'Auschwitz-Birkenau.

A l'heure de mettre des mots sur mon ressenti, mes émotions m'empêchent de trouver la justesse et la pertinence qui conviennent. Ils manquent, à mon sens, de légitimité et de ce fait, ils me viennent de manière confuse, décousue. Car qui mieux que ceux de Ginette Kolinka peuvent parler de ce qu'elle a vu et vécu ?

Alors, je vais, comme elle le conseille aux visiteurs, fermer mes yeux et laisser ses mots parler pour moi.

« Sous chacun de vos pas, il y a un mort. »

*
Et en ouvrant de nouveau les yeux, le camp m'est apparu sans le filtre du passage du temps, du vide, de la vie qui a repris. Les baraquements du camp ont revêtu immédiatement leurs vrais costumes, et c'est le choc de découvrir les conditions de vie inhumaines, cruelles, dégradantes et humiliantes dans lesquels des êtres humains ont maintenu d'autres êtres humains.

Les mots de Ginette Kolinka relatent cette enfance bouleversée par la guerre, l'occupation, l'arrestation, puis la déportation avec une partie de sa famille.
Ils racontent son incompréhension et sa peur à voyager dans des wagons à bestiaux sans nourriture ni eau, les corps entassés, les relents des corps, le sol jonché d'excréments, les cadavres qui s'entassent, la sensation de suffoquer.

« 16 avril 1944. le train s'arrête enfin. J'ai l'impression d'avoir somnolé tout ce temps. Derrière la porte, on entend des voix qui crient, des chiens qui aboient, le bruit des gonds que l'on déverrouille : un air vif pénètre le wagon, comme c'est bon ! Après ces heures passées recroquevillés dans la pénombre et la puanteur. Combien de jours, de nuits ? »

Puis, les mots décrivent la vie dans le camp : le travail forcé, les coups et les insultes, les odeurs pestilentielles d'excréments et de cadavres, la faim et la soif, l'appel interminable sans bouger, le manque d'hygiène et d'intimité, la maladie et la mort qui entourent son quotidien.

« Perdre le moral, c'est précipiter la mort. »

Qui mieux que Ginette Kolinka peut vous parler de toute cette souffrance, de cette frayeur ?
Qui mieux que Ginette Kolinka peut vous parler des sentiments que l'on ressent lorsque l'on voit la fumée qui s'élève au-dessus du camp ?
Qui mieux que Ginette Kolinka peut vous parler de la douleur que l'on ressent lorsque l'on apprend que son père et son petit frère de douze ans ont été gazés et sont partis en fumée ?
Savez-vous combien de temps il faut pour mourir dans les chambres à gaz ?
C'est terriblement long.

« « Vous voyez la fumée, dehors ? Ils sont là ! Ce sont leurs corps, vos familles, qu'on brûle ! » Elles balancent ça, mais personne ne les croit. Comment voulez-vous les croire ? Moi, en tout cas, je ne les crois pas. Je me dis que ce n'est pas possible, que ces filles, à force, sont devenues inhumaines. »

Comment peut-on se reconstruire physiquement et psychologiquement après les atrocités commises et la terreur de l'enfermement ?

*
A son retour à Paris en 1945, Ginette Kolinka a vingt ans et elle ne pèse plus que vingt-six kilos.
De cette épreuve, de l'horreur inimaginable des camps, elle n'en dira rien jusqu'à ce qu'elle brise le silence au moment où Steven Spielberg cherche des témoins de l'époque pour son film "La liste de Schindler".
Depuis, Ginette Kolinka partage son expérience et accompagne les groupes scolaires qui visitent les camps.
Cette partie est très intéressante, car l'autrice nous parle de son retour dans ce lieu cinquante-cinq ans plus tard. Elle nous transmet ses impressions, ses émotions face à ce lieu aseptisé devenu musée.

*
Le récit de Ginette Kolinka met en lumière sa résilience, sa force à survivre malgré les circonstances, son combat à transmettre pour ne jamais oublier les atrocités nazies ainsi que leurs victimes.
J'ai trouvé son récit très mesuré, sobre, juste, poignant. J'ai été également touchée par l'humanité de son discours, par l'absence de rancoeur ni de haine.

J'ai trouvé intéressant sa façon de s'adresser aux lecteurs comme si le livre était une passerelle, un pont entre elle et nous. On se sent proche d'elle.

« Moi-même, je le raconte, je le vois, et je me dis ce n'est pas possible d'avoir survécu à ça. Je vois et je sens.
Mais vous, qu'est-ce que vous voyez ? »

L'autrice nous parle également de son rôle de passeur de mémoire aux côtés des plus jeunes qui n'ont pas connu la guerre.

« Aux élèves, je le répète : c'est la haine qui a fait ça, la haine à l'état pur. Les nazis ont exterminé six millions de Juifs. Souvenez-vous de ce que vous avez trouvé impensable. Si vous entendez vos parents, des proches, des amis, tenir des propos racistes, antisémites, demandez-leur pourquoi. Vous avez le droit de discuter, de les faire changer d'avis, de leur dire qu'ils ont tort.
Le font-ils ? »

*
Il est difficile de juger ce genre de livre. Faut-il noter la qualité du récit, le style de l'auteur ? Ou la force du récit, le courage de l'autrice pour dire l'indicible prévalent-ils ?

« Cette phrase, soixante-dix ans après, résonne encore en moi. « Il y a des camions pour les plus fatigués. » Dans ma naïveté, cette naïveté qui m'a peut-être sauvée et qui les a condamnés, je pense à mon père, amaigri par ces dernières semaines, exténué par le voyage, je pense à Gilbert, mon petit frère, qui n'a que 12 ans, à sa petite tête ébouriffée. Et je m'entends leur crier : « Papa, Gilbert, prenez le camion ! »
C'est toujours ça qu'ils n'auront pas à faire à pied.
Je ne les embrasse pas. Ils disparaissent. »

Cette autobiographie est très courte et écrit avec simplicité et franchise. Aucun mot n'est de trop, il va à l'essentiel et cette concision est incroyablement touchante. L'autrice a cette capacité à raconter sans pathos, l'enfer des camps de concentration, à nous faire sentir ce qu'elle a vécu et à nous livrer avec sincérité ses émotions, ses souffrance, sa peur.

*
« Retour à Birkenau » est un récit de vie court mais dense, intime et bouleversant d'émotions.
Une force de vie et un courage qui forcent le respect.
A lire absolument !
Commenter  J’apprécie          4542



Ont apprécié cette critique (45)voir plus




{* *}