Alors que les adaptations se font souvent du format écrit au format visuel,
Jérôme Ruillier inverse la donne en transposant le livre/documentaire «
Mémoires d'immigrés » de
Yamina Benguigui en bande dessinée –quoiqu'ici, l'usage du terme « roman graphique » semble particulièrement recommandé en vue de la densité de l'ouvrage.
Dans l'oeuvre originale,
Yamina Benguigui écoutait et rapportait les témoignages d'immigrés maghrébins installés en France.
Jérôme Ruillier s'inscrit tout de suite dans un rapport de subordination et évoque la fascination qu'a provoquée la découverte de cet ouvrage. Celle-ci se mue bientôt en volonté de contribuer à son tour à ce recueil de témoignages. Même si l'on comprend quelles raisons personnelles ont donné envie à
Jérôme Ruillier de s'impliquer, la démarche reste tout de même curieuse. En effet, après la parution d'un film et d'un livre de
Yamina Benguigui, on peut se demander s'il est bien nécessaire de faire paraître ces témoignages qui n'ont d'original que leur format graphique. Si, en tant que lectrice, la démarche de cette parution m'a permis de découvrir un document que je ne me serais sans doute pas procuré autrement, du point de vue de
Jérôme Ruillier, cette même démarche semble supposer une volonté de pallier à un inconvénient majeur de l'oeuvre de
Yamina Benguigui : son manque d'accessibilité.
Que peut-on trouver dans les Mohamed[b] de
Jérôme Ruillier qu'on ne trouvera pas dans le travail de
Yamina Benguigui ? le seul ajout semble être le témoignage du dessinateur rencontrant les [b]
Mémoires d'immigrés : celles-ci font écho à son expérience directe alors que sa fille va être scolarisée dans une école comptant 80% d'enfants d'immigrés, ainsi qu'à son passé et à ses rapports avec ses aïeux. Mais ces contributions restent modestes et comptent pour à peine quelques dizaines de pages perdues dans des centaines. Là ne se situe donc pas l'atout majeur de
Jérôme Ruillier face à
Yamina Benguigui. Pour tenter un comparatif plus hasardeux, on pourrait dire que les Mohamed constituent une version bande dessinée des
Mémoires d'immigrés pour les Nuls : résumé, simplifié sans que le discours ne devienne simpliste, revêtant des formes qui paraissent peut-être plus accessibles qu'un texte ou qu'un documentaire, le lectorat sera sans doute plus large et plus diversifié que celui initialement concerné par le travail de
Yamina Benguigui.
Laissons donc de côté les questions de l'intérêt de cette adaptation et reconnaissons que les Mohamed de
Jérôme Ruillier paraissent aussi vivants et sont aussi troublants que de vrais hommes que l'on aurait pu rencontrer en chair et en os. Aucun type de discours n'est épargné : ni celui qui combat les préjugés racistes, ni celui qui les confirme, faisant de cette somme un recueil de témoignages qui ne semblent pas vouloir utiliser la parole d'hommes déracinés comme le seul moyen de construire une thèse purement intellectuelle. Et du format BD au format texte ou vidéo, il ne reste plus qu'un pas à franchir pour le lecteur qui aura été convaincu par l'adaptation de
Jérôme Ruillier. Seul danger : cette-ci semble si réussie qu'on se surprend à se demander ce que l'on pourrait apprendre de plus dans les
Mémoires d'immigrés… Comble de l'adaptation : lorsque l'inspiré s'empare du rôle de l'inspirateur !
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