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Critique de Kirzy


Paolo Rumiz est un écrivain voyageur, ancien reporter de guerre. Il se dit «  fils de la frontière », né à Trieste, ville aujourd'hui italienne, à la charnière du monde latin, germanique et slave.

Son livre se met en marche à la première personne dès le départ, lorsque l'auteur décide de partir sur les traces de son grand-père, officier de la Première guerre mondiale, engagé sous le drapeau de l'Empire austro-hongrois à l'époque où Trieste n'était pas encore italienne. Après l'armistice de 1918 et la réorganisation territoriale de l'Europe suite au démembrement de l'Autriche-Hongrie, ces soldats triestins tombent en disgrâce puisqu'ils n'ont pas combattu du bon côté, dans l'oubli, le sujet est tellement tabou que plus personne ne les évoque.

Paolo Rumiz veut sortir de l'ombre ces «  caduti » ( soldats tombés pendant la Grande guerre ), convoquant leur mémoire en un requiem de cette Europe défunte. Il est obnubilé par la volonté de créer une réelle armistice des peuples au delà des frontières nationales.

«  Je ne veux ni goulasch, ni amatriciana, ni bière, ni vin. Ou alors un banquet avec les quatre à la fois. Ici on voyage dans ce no man's land. Et les nations, on s'en fout éperdument. »

On le suit donc sur le terrible front de l'Est, en Galicie, territoire aux confins de la Pologne et de l'Ukraine.
Ce reportage road-movie est très érudit, parsemé de références à l'histoire géopolitique et culturelle de la Mitteleuropa ( Europe centrale ), une lecture très exigeante donc. Je m'y suis souvent perdue par manque de repères initiaux, j'ai trouvé parfois les pages longues, mais j'ai trouvé la réflexion passionnante sur notre Europe.
Il n'est pas uniquement question de la Première guerre mondiale, ce n'est qu'un point de départ pour évoquer les heures sombres de l'Europe : le génocide juif ashkénaze durant la Deuxième guerre mondiale, la guerre des Balkans en Yougoslavie à partir de 1991, la crise ukrainienne et de façon générale, la faillite de l'Union européenne aujourd'hui.

«  Maintenant je me vois comme dans un film. (...) Il sort à ciel ouvert, s'étend dans l'herbe. Il se dit in petto : mais enfin, c'est quoi, ce voyage que je fais ? Il s'est aperçu que plus il parle des morts, plus il s'enfance dans la compréhension du présent. Qu'il lui semble clair depuis ce bastion en décomposition, le destin malheureux de l'Ukraine. Comme il lit aisément le réveil dislocateur des nations et la balkanisation de l'Europe. Tout est déjà écrit. Il murmure : « Quels imbéciles nous faisons, nous qui n'avons pas d'anticorps de la mémoire, aplatis sur l'éphémère, farcis du néant , malmenés par une actualité anxiogène. Combien elle nous manque, L Histoire. Et plus il pénètre les raisons de la dissolution de son vieil empire, plus lui apparait fulgurante, à l'époque actuelle, la décadence de la fédération de peuples à laquelle il appartient. »

Sous ce récit très intellectuel et cérébral, la chair palpite souvent , notamment lorsqu'il retrouve des écrits laissés par ces soldats triestins de 14-18, les lignes se muent en chant des morts. Comme si le fait de déambuler, de sentir la terre, le soleil, les champs de Galicie faisaient réapparaître la mémoire des morts, la rendant sensible. le style de Paolo Rumiz n'est pas du tout neutre et journalistique comme on pourrait l'atteindre, il est au contraire très travaillé, fait d'envolées lyriques très maitrisées. La fin est superbe, une lettre écrite à fils puis son grand-père, presque bouleversante dans cette intimité qu'il accepte de partager avec le lecteur.
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