Rencontre animée par Jean-Claude Perrier
Festival Italissimo
Auteur d'une douzaine de livres traduits dans le monde entier, éditorialiste à La Repubblica, Paolo Rumiz est avant tout un écrivain voyageur. Reporter de guerre, investigateur de zones frontalières et de lieux oubliés, il a parcouru des itinéraires merveilleux, inconnus du tourisme de masse. Dans son dernier ouvrage, le Fil sans fin, il poursuit son errance en suivant les disciples de Benoît de Nursie, le saint patron de l'Europe : de l'Atlantique aux rives du Danube, un voyage spirituel à travers l'Europe des monastères, à la redécouverte de nos valeurs fondatrices.
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À lire
Paolo Rumiz, le fil sans fin, voyage jusqu'aux racines de l'Europe,
trad. par Béatrice Vierne, Arthaud, 2022.
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Le plus grand éléphant. Le dernier à mourir, selon les historiens. L'unique sujet de race asiatique, au milieu d'une horde de pachydermes africains de plus petite taille. C'est le légendaire " Surus " - " le syrien " - qui porta Hannibal en toute sécurité pendant sa maladie ; Pline a dit de lui qu'il était " le plus valeureux de toutes les guerres puniques. " Peut-être mourut-il, lui aussi, dans le bourbier, avant la bataille du lac Trasimène. Une fin assurément moins lamentable que celle qui guette aujourd'hui le roi des grands mammifères terrestres. Il mourut guerrier, mastodonte, léviathan de la terre ferme, aussi invincible que Moby Dick. De nos jours, il aurait la honte de faire rire dans les cirques, enchainé et déprimé comme un Golem. Je pense aux millions de chevaux, mules et ânes anonymes, morts au cours de millénaires de guerres.
Un grand voyage, c'est laisser son smartphone à la maison, suivre n'importe quelle direction en coupant le territoire, se déplacer avec une carte et laisser place à l'aventure, car un homme qui ne prend pas de risque, c'est un homme qui n'a pas vécu.
" Si nous croyons, nous comprendrons "
Tout là-haut, une avalanche s'est déclenchée, l'écho de son tonnerre se multiplie, se disperse, puis le silence revient sur les Alpes. C'est le mois de mai 2007 et nous sommes absolument seuls. Parmi les pics enneigés des Cozie, ou Alpes cottiennes, rien d'autre que des pierres, du vent, des marmottes et des nuages.
" Reste à savoir si Hannibal est vraiment passé par là ? ", grommelle Paolo Henry, en allumant sa pipe à l'abris du vent.
C'est lors des attentes que l'on rencontre le monde.
(...) A Cuba, je me rappelle avoir pris en auto-stop une maman et deux petits enfants qui attendaient depuis six heures, abrités du soleil sous un pont. Quand je lui ai dit que sa patience m'émerveillait, elle m'a répondu : "Si je n'avais pas attendu, je ne t'aurais pas rencontré." p 73
Maintenant, voilà le voyage "in medias res", le passé devient le présent et mes déplacements sont pleinement synchronisés avec eux du Carthaginois (Hannibal). Nous sommes en 218, les dés sont jetés, notre homme est en marche vers l'Italie avec quatre-vingt-dix-mille soldats, douze mille chevaux et des dizaines d'éléphants. Je m'efforce d'imaginer cette masse en mouvement, les nuages de poussière qu'elle soulève, l'odeur qu'elle laisse, le bruit qu'elle fait. Les bagages, les souliers, les vêtements, le fourrage. Je calcule qu'entre le départ du camp des premiers et celui des derniers, cinq heures au moins ont dû s'écouler. Un effort logistique exceptionnel. Quatre-vingt-dix mille hommes, douze mille chevaux et quarante éléphants à nourrir, à faire camper, à protéger. Sans hélicoptères, ni routes, ni chemin de fer.
Nous songeons, pleins de honte, à nos propres jarrets, pâles et sédentaires. Les superlatifs ne suffisent pas pour ces marches d'il y a deux mille ans : la grande course de Claudius Néron, ou celle de Jules César qui déplaça ses hommes de la Toscane à l'Andalousie en vingt-huit jours à peine. Les Suisses d'aujourd'hui, qui ont pourtant une armée de quasi-professionnels, mis à l'épreuve par un service militaire qui n'en finit jamais, ont essayé de voyager de la même manière, avec la technique brevetée " quam maximis itineribus", mais le peloton engagé dans l'aventure a fini à l'infirmerie.
Et que dire de leur capacité de construire des ponts et des routes en un rien de temps, sous le nez de l'ennemi ? Brizzi : " L'armée anglaise s'est efforcée de refaire le pont de César sur le Rhin avec les moyens d'alors, mais elle en est sortie en morceaux, en déclarant que c'était impossible."
L’île est un capteur dans l’univers qui l’entoure. Je veux dire par là qu’on n’a pas besoin de savoir, parce qu’on perçoit. De là-haut, par exemple, je les vois, les officiers des navires qui repèrent ma lumière. Je touche les radars qui signalent ma présence aux navigateurs. J’entends les cris des hirondelles qui mettent le cap sur ce rocher pour y passer la nuit pendant leur migration. Je parviens à capter parfaitement Radio Malte, qui diffuse le bulletin des déplacements de bateaux transportant des désespérés d’Afrique du Nord. Avoir la vision d’ensemble : voilà ce que signifie pour moi la perception pélagique du monde. A Berlin, on ne peut pas le comprendre, ni même à Rome ou à Paris, parce que la culture est une culture de terre ferme. On n’y a pas de visionnaires, on n’y a que des analystes dans leurs fichus bureaux d’étude. p 89

Il mare era in principio / au commencement était la mer
Par une nuit claire d'octobre, le commandant Lebris du voilier Surprise battant pavillon français aperçut, au large du golfe de Palerme, une voile rouge brique fendant la mer en deux comme une lame. Elle faisait route vers le Nord-Ouest, à l'oblique et naviguait au près.
Il pointa les jumelles. Elle semblait vide, mais avec une superbe inertie elle glissait sur les vagues de zinc à contre-jour avec un vent Grecale de vingt nœuds alors que les ailes des mouettes comme enneigées couronnaient l'air bleu.
Ouvrant l'eau, le bateau traça une écume blanche et ronde, semblable à de la mousse de bière, sur les moustaches d'un grenadier prussien à la retraite.
C'était un voilier de la mer du Nord, en bois massif vieux de plus d'un siècle, avec des yeux peints sur la proue comme les navires des Grecs à Salamine.
Un gréement aurique avec de grandes voiles et d'étranges cornes fixées à base du beaupré.
Sur la barre de flèche, une blouse de femme, noir pirate, en lambeaux, et à l'arrière un drapeau avec des étoiles.
(INCIPIT)
In una notte nitida di ottobre il comandante Lebris dal veliero Surprise battente bandiera francese vide, al largo del golfo di Palermo, una vela color rosso Matt one tagliare il mare in due come una lama rotta a nord-est, obliqua, di bolina.
Puntò il binocolo. Sembrava vuota, ma con superba inerzia scivolava sulle onde di zinco in controluce con vento di Grecale a venti nodi e le ali di neve dei gabbiani che incoronavano l’aria turchina.
Aprendo l’acqua, la barca tracciava un baffo bianco, rotondo, perfecto come spuma di birra sui mustacchi di un granatiere prussiano a riposo.
Era una vela del Mare del Nord, legno massiccio più vecchio di un secolo, occhi dipinti a prua come le Navi dei Greci a Salamina. Un armo aurico di grande velatura e strane corna fissate alla cervice del bompresso.
Sulla crocetta, una blusa di donna di un nero piratesco, sbrindellata, e a poppa una bandiera con le stelle.
Oui, la vie est une gourmandise qu'il faut mastiquer doucement, sous le soleil et sous les étoiles.
Tout ce qui restait de l’île Ancienne se repliait là sur soi-même dans les châles des veuves, dans les gestes superstitieux et les chapelets égrenées par les vieillards.
Ciò che restava dell’isola Antica lì si chiudeva a riccio negli scialli vedovili, nei gesti scaramantici e nel rosario sgranato dagli anziani.