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Critique de abfabetcie


Récit autobiographique qui est autant le récit de la vie de l'auteur que celui de sa mère, omniprésente pour ne pas dire omnipotente. « C'est plus l'histoire de ma mère que la mienne, mais c'est aussi la mienne » dit Richard Russo dans le prologue. C'est aussi un drame à deux personnages. « Cette biographie est une histoire de croisements, entre des lieux et des moments… des destins liés et des attachements défectueux. Il est question de sa personnalité, mais aussi de l'endroit où elle a grandi, d'où elle s'est enfuie et où elle est revenue, à maintes reprises. Des contradictions qu'elle n'a pas pu résoudre ». En creux se devine la complexité d'une relation mère-fils qui aurait pu être étouffante et toxique si elle n'avait été si aimante.
C'est tout cela qu'évoque Richard Russo dans cet émouvant récit. le portrait d'une mère qui n'a jamais été absente de sa vie, un être perclus de contradictions et d'obsessions, obstinée et volontaire mais d'une instabilité chronique, victime de fortes « crises émotionnelles », comme on les qualifiait à l'époque et qui n'étaient autres que des troubles obsessionnels compulsifs.
Richard Russo évoque d'abord son enfance, « une enfance américaine, dans les années 1950, au sein d'une classe moyenne qui semble avoir disparu, ou presque. » le premier chapitre « Indépendance » dresse le portrait de sa mère à l'aube de sa vie, une femme qu'il décrit comme farouchement indépendante, mère divorcée très tôt qui travaille, élève seule son fils unique, et s'assume, envers et contre tous, même si cette indépendance n'est que relative (elle habite un appartement juste au-dessus de ses parents à qui elle paie certes un moindre loyer et qui sont très présents pour elle). « Elle devait affirmer son indépendance, la proclamer à haute voix, si elle voulait y croire elle-même. » « Elle était libre, mais pas tout-à-fait… Cette autonomie durement acquise pouvait parfois ressembler à une cage. » Et c'est là tout le paradoxe. Cette dépendance – affective et financière – qu'elle a d'abord avec ses parents va bientôt se reporter sur son fils grandissant. Elle va dépendre de lui toute sa vie, et bien avant que la vieillesse ou sa santé mentale se dégradant ne le justifient. Mais c'est aussi le portrait d'une jeune mère attentive, dévouée, aimante qui lutte sans cesse pour sa liberté, même si le prix à payer est élevé et que les fins de mois sont difficiles. « N'importe quel imprévu pouvait nous précipiter dans le rouge. »
Dès le 2e chapitre, intitulé « Un sacré savon », expression qui prendra tout son sens au fil du récit, Richard Russo commence à évoquer l'état de santé mental de sa mère, ses « crises de nerfs » qui deviennent peu à peu un élément du paysage familial. C'est aussi le récit du voyage improbable vers l'Ouest et leur arrivée à Phoenix, Arizona, où l'auteur va entrer à l'université. C'est pour sa mère, qui quitte enfin « la cage de Gloversville », un nouveau départ. Elle nourrit plein d'espoirs et de rêves que la dure réalité de la vie (solitude, nostalgie, chômage, manque d'argent) va vite voir s'effondrer. La réalité ne correspondait jamais « aux images projetées dans la salle de cinéma de son esprit. »
Un monde « ailleurs », c'est ce dont elle rêvait mais qu'elle n'a jamais pu atteindre. « Ici » et « là-bas », deux mots qui résument pour Richard Russo toute la vie de sa mère. « Ici, cela voulait dire l'endroit à l'intérieur de sa tête où les choses tournoyaient en une boucle sans fin. Là-bas, c'était l'endroit qu'elle essayait d'atteindre en permanence, où elle serait heureuse. » La réalité ne correspondait « aux images projetées dans la salle de cinéma de son esprit. »
Il lui apparait bientôt très clairement que sa mère ne cesse de vouloir fuir sa ville natale, où elle se sent prisonnière mais qu'elle ne parvient jamais à s'attacher à un nouvel endroit. « le problème était qu'il existait deux Gloversville aux yeux de ma mère : celui qu'elle avait fui car elle y étouffait et celui dont elle a la nostalgie dès qu'elle en était éloignée ».
Dans le 3e chapitre, « Diagnostic », l'auteur met enfin des mots sur le mal dont souffre sa mère et évoque le poids du silence qui a régné tout au long de son enfance, dans sa famille, sur la folie voire la démence de sa mère, mal qui pesait lourdement sur les épaules de ce petit garçon qui savait, qui sentait mais qui ne pouvait formuler ou formaliser ce mal et cette souffrance.
Une superbe écriture, de la belle littérature pour ce vibrant hommage à sa mère. Les 50 dernières pages sont magnifiques et transpirent de l'amour d'un fils pour sa mère, malgré les difficultés traversées, et c'est ce qui le rend profondément humain et touchant. le lien qui unissait ces deux êtres était assez unique et perdure par-delà la mort. Il était étouffant mais a fait de Richard Russo l'écrivain qu'il est devenu. Les pages évoquant la fin de sa vie, la maladie qui la rend alors totalement dépendante des autres, elle qui ne jurait que par l'indépendance, sont poignantes. Quand elle est sous morphine à la toute fin de sa vie, Richard Russo entraperçoit « la jeune femme pleine d'assurance, jolie et courageuse » qu'il avait connue enfant.
Malgré le fait qu'il ait toujours été à ses côtés, ou qu'elle ait toujours été à ses côtés, c'est selon, Richard Russo a le sentiment, après la mort de sa mère, de l'avoir abandonnée à sa folie, d'avoir lâché prise après avoir essayé, en vain, pendant des années, de la « guérir », de trouver la solution à son malheur et à sa souffrance. C'est après sa mort, au hasard d'une lecture, qu'il découvre finalement que sa mère souffrait de troubles obsessionnels compulsifs, jamais diagnostiqués, donc jamais pris en charge ni soignés. Cette maladie mentale non identifiée s'est avérée destructrice pour elle-même comme pour son entourage.
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