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Critique de Ingannmic


J'étais vraiment curieuse, excitée même, à l'idée de découvrir "Un homme presque parfait". Et c'est à l'homme que je pensais, non au roman ainsi intitulé. Bigre... Richard Russo allait sans doute me faire rencontrer une perle rare ! Mais j'ai vite compris que le terme le plus important du titre était "presque"... que ce qui intéresse surtout Richard Russo, ce sont les imperfections, les béances où les êtres se perdent, les doutes qui les assaillent, les bagages immatériels et pourtant si lourds qu'ils traînent avec eux. Et finalement, je dois bien avouer que moi aussi, c'est ce qui m'intéresse, parce que je n'ai jamais rencontré la perfection, mais j'imagine qu'elle est chiante à mourir...

Donald Sullivan, dit Sully, serait surement de cet avis. Ce sexagénaire entretient en permanence un précaire équilibre entre stabilité et catastrophe, tant il s'acharne à saboter toute chance d'améliorer sa vie, d'accéder à quelque confort ou à quelque tranquillité. Il vit seul, séparé depuis longtemps de son ex-femme Vera, et de son fils Peter, devenu lui-même père de deux enfants. Il n'a jamais vraiment su s'y prendre avec ses émotions, ses responsabilités familiales, ignorant son fils, l'oubliant pendant des mois d'affilée... sa mise à l'écart du foyer par Vera lui a finalement servi de prétexte pour conserver sa liberté, et se dégager du fardeau supposé de l'affection.

Une blessure mal soignée au genou lui impose une inactivité qu'il supporte mal, d'autant plus que les efforts de son avocat pour lui obtenir une pension d'invalidité semble voués à l'échec. Or, Sully a besoin d'argent pour faire face à ses maigres dépenses quotidiennes, et parce qu'il sait ne pouvoir compter sur la retraite que lui procurera une carrière majoritairement non déclarée. Mais il n'est du genre ni à s'appesantir sur des regrets, ni à dépendre de qui que ce soit. Obstiné à gagner le peu d'argent qu'il lui faut pour vivre, il se remet donc à travailler, au noir.

Ils sont pourtant nombreux à l'aimer, cet homme qui ne fait attention à rien, dont le seul dessein est de continuer à avancer au mépris de toute raison, qui se cause du tort en toute conscience, mais ne peut s'en empêcher, "porté par la sensation enivrante, même si elle est fausse, de refaçonner le réel". Il y a sa logeuse Miss Beryl, octogénaire minuscule, à l'esprit indépendant et acéré. Cette ancienne professeure de quatrième, qui a connu Sully adolescent, comme la quasi totalité des habitants de North Bath ayant dépassé la trentaine, "admire l'attachement féroce et loyal dont il fait preuve envers les innombrables erreurs qui composent son existence excentrique et solitaire". Il y a Ruth, sa maîtresse depuis dix ans, ou encore Rub, ami fidèle, un peu simplet et très collant, que Sully passe son temps à charrier (mais qu'il est un des rares à supporter). Même le second mari de Vera l'apprécie. Même son petit-fils Will, qui le connait pourtant très peu, et qui trouve qu'il ressemble à un meurtrier en série boiteux, recherche sa compagnie...

Avec son fils Peter, c'est une autre paire de manches... ce dernier traverse une période de sa vie quelque peu bancale. L'université où il exerce comme professeur ne l'a pas titularisé, sa femme le quitte, sa maîtresse le harcèle, et il est criblé de dettes... Hésitant sur l'orientation à donner à son existence, il décide de travailler avec son père. Les rapports sont au départ distants, plombés par la rancune qu'a laissée la négligence de Sully. Mais peu à peu, père et fils se (re)découvrent.

"Un homme presque parfait" est une fresque peuplée de multiples personnages, dont l'auteur orchestre les interactions et évoque les caractères avec tendresse et minutie, décortiquant les causes des peurs, explore les raisons profondes des angoisses, les raisons de leurs comportements.

Quant à la toile de fond, ceux qui ont lu "A malin, malin et demi" la connaissent déjà puisque "Un homme presque parfait" nous ramène, une vingtaine d'années auparavant, à North Bath, bourgade de l'état de New-York, mais qui ne bénéficie guère du rayonnement de cette dernière. Après une brève heure de gloire due aux sources thermales découvertes à la fin du XIXème siècle, la ville a décliné peu à peu. Depuis elle végète, exclue du trajet de la nouvelle interstate reliant la capitale de l'état aux autres communes du coin, lorgnant la réussite de sa florissante rivale Schuyler Springs avec une aigreur envieuse. le projet de construction d'un parc d'attraction apporte pourtant un espoir de renouveau, et comme un regain d'amour-propre pour ceux -banquier ou entrepreneur- qui y voit l'occasion de redorer l'image de Bath, et de se remplir les poches...

Le récit est dense, à la fois ancré dans le présent et enrichi de digressions évoquant des épisodes du passé, qui mettent en lumière héritages traumatiques et genèses des obsessions. Il y est beaucoup question de liens familiaux et de transmission, des responsabilités conséquentes, de culpabilité... Car ceux qui y évoluent ne sont ni des héros ni des monstres, mais des gens comme vous et moi, qui font souvent ce qu'ils peuvent, se montrent pitoyables ou attachants, parfois d'une réjouissante excentricité (je suis tombée sous le charme discret mais très piquant de Miss Beryl), parfois d'un courage étonnant...

Et surtout, l'ensemble est empreint d'un humour porté par des dialogues savoureux où l'ironie affleure en permanence, et par une cocasserie et un sens de la dérision qui allègent même les situations les plus tragiques.

Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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