Le coeur en braille, tome 3 : Quatre ans après

- Papa ?
- Quoi ?
- Il y a deux n à connerie.
- Même quand c'est une petite ?

J'ai l'impression que dans la vie il y a l'amour et très peu de choses autour. Comme dans une paupiette.

- J'ai tout de suite vu que t'étais pas dans ton assiette. T'es comme...
- Un morceau de laitue. La laitue toute molle à côté du steak et qui sert à rien, qu'on a envie de foutre à la poubelle.

- Ah l'écrivain... Marcel je sais plus quoi... un nom bizarre ; on me le donnerait, j'en voudrais même pas.[...]
- Marcel... Marcel... Proust ? Marcel Proust ?
- Quelque chose comme ça.. Tu connais ? Évidement que tu connais ! Un type qui écrit des tas de souvenirs... Je me demande comment il a pu stocker tout ça[...] Balèze, je te jure. Comme s'il avait une machine à remonter le temps dans le stylo. Les souvenirs lui revenaient en mangeant une pâtisserie avec son thé, je ne sais plus laquelle.. des loukoums, je crois bien.[...]
- Des loukoums ? Tu es certain que Marcel Proust mangeait des loukoums avec son thé ?
- Certain. Je l'ai lu.

- Mmm... Qu'est-ce que vous préparez ?
- Tofu !
- Mo non, jo no sui po fou.
Il trouvait ça très drôle.

- Je savais, maman, qu'on se retrouverait un jour. Enfin, savoir, c'est pas le bon mot... Je sais pas comment dire...
- Ne dis rien, alors.
Elle a tendu vers moi une main fine et délicate. Elle était toute légère, presque vaporeuse, cette main qui disparaissait entièrement au creux de la mienne, mais aussi douce et chaude que le sourire qui éclairait son visage. Le regard de ma mère était plein de confiance. Je me suis dit que nos vies doivent être célébrées comme d'incessantes retrouvailles.

- Comme en quatrième. Comme quand on était bien sages. C'est de ça que tu as envie de te souvenir ? C'est de cette émotion dont tu as besoin ?
Je me suis dit que personne ne pourrait jamais me comprendre aussi complètement. Même pas papa, et d'ailleurs ça me faisait un peu de peine. Elle a ouvert les bras et je me suis jeté contre elle en pliant les jambes pour sentir le haut de ma tête calée contre son menton, comme jadis quand elle était plus grande que moi, et aussi parce qu'elle était encore et toujours plus grande que moi.

- Tu veux que je te décrive, alors ? Que je te dessine, mais avec des mots...
Elle a souri.
- [...] de longs cheveux, roux en hiver et blond vénitien en été... très épais et un peu moins frisés que les années passées. En quatrième, son visage était un peu rond et enfantin, mais maintenant, il s'est allongé et deux fossettes apparaissent quand elle sourit ; et alors tu te sens face à ce visage comme un papier de soie tout fin qui se déchire petit à petit... Et pour le reste... [...] Le reste a poussé de partout, devant, derrière, sur les côtés... euh... et puis... et puis elle ressemble de plus en plus à son violoncelle, tellement que t'as envie d'être l'archet qui lui caresse les cordes...

"Et je crois que tout mes problèmes venaient de là. De cette solitude. Je ne le savais pas, c'est seulement maintenant que je m'en rends vraiment compte. Parce que, comme avant, j'ai envie de gueuler n'importe quoi, juste pour prouver que j'existe."

C’est trop d’émotions, toute cette séduction.