Citations sur Les enfants de l'Arbat, tome 1 (12)
Qui avait raison pour l'époque ? Lénine ou lui ? L'histoire ne donne jamais de réponse à la question : qui a eu raison ? qui a eu tort ? C'est le vainqueur qui a raison.
Tous ses camarades l'avaient abandonné. Et seule Varia, la petite Varia n'avait pas délaissé sa mère. Sacha se rappelait son fin et clar visage, ses yeux en amande, sa frange bien nette recouvrant en partie son front droit, ses regards - pareils à ceux que lancent toutes les jolies petites filles de quinze ans por troubler les garçons -, ses genoux nus qui lui servaient à copier en classe : une petite femme pleine de grâce et de charme... il se la rappelait jacassant devant la porte cochère avec une bande d'adolescents, vêtue d'un manteau sombre au col négligemment relevé. Il se rappelait sa jour d'avoir été invitée au Caveau de l'Arbat et de danser avec lui : "Ramona, j'ai fait un rêve merveilleux. ramona, nous étions partis tous les deux...." Il se rappelait aussi qu'elle s'était serrée contre lui, déployant tout l'arsenal peu compliqué de ses charmes.
Pour des épigrammes dans un journal mural, on a la bonté de ne pas le fusiller. ça ne lui a valu que trois ans de déportation en Sibérie. Quelle chance ! Trois ans, qu'est-ce que c'est ? Une bagatelle, en effet. Joseph Vissarionovitch Staline n'a eu que trois ans, lui aussi. Trois ans pour avoir fomenté des mouvements insurrectionnels, des grèves, des manifestations, publié des journaux clandestins, voyagé illégalement à l'étranger. Et non seulement il s'en est tiré avec trois ans, mais après son évasion, on l'a simplement reconduit à son lieu de résidence pour qu'il achève de purger sa peine. C'était il vrai, en 1913. Sacha, s'il s'évadait, prendrait dix ans de camp minimum aujourd'hui.
Elle braqua sur son frère des prunelles farouches :
- Le tsar, s'il avait appliqué vos lois, aurait tenu mille ans de plus.
La vie en prison, c'est aussi une vie, l'homme vit, tant qu'il respire et espère, et à vingt-deux ans toute la vie est faite d'espoir.
En cette deuxième année du plan quinquennal, les usines produisaient des automobiles et des tracteurs, les hauts fourneaux, de la fonte, les fours Martin, de l'acier, les exemples d'ardeur au travail ne manquaient pas.... Par ailleurs, les procès se multipliaient, les organes de répression se renforcaient , toute tentative de fuite à l'étranger était passible de la peine de mort et les proches du fuyard étaient condamnés à dix ans de prison à cause d'un crime qu'ils n'avaient pas commis. Toutes ces mesures visaient à accroître la puissance d'un seul homme. Et cet homme était le symbole de la vie nouvelle : il incarnait tout ce à quoi croyait le peuple, ce pourquoi il luttait et souffrait. Tout ce qui se faisait en son nom était donc juste ?
On s'évade rarement, et seulement du lieu de résidence assigné, quand la nostalgie de la liberté devient si forte qu'on fonce, tête baissée, sans se soucier de ce qui vous attend. On s'évade au printemps, quand les odeurs de la saison - les mêmes à toutes les latitudes - étreignent le cœur d'un irrépressible besoin de retrouver votre foyer ; ou au début de l'automne, quand on ne peut plus supporter la sinistre perspective de l'interminable hiver sibérien. Il y a aussi des évasions d'hiver : un mois avant l'expiration de sa peine, on se rêve déjà chez soi ; on n'a plus le courage d'attendre ; mais on redoute aussi l'heure de se présenter pour obtenir son certificat de libération, parce qu'au lieu de certificat, vous risquez de vous faire notifier une rallonge de peine. Ces évadés d'hiver on les appelle les "perce-neige", car on retrouve leurs corps au printemps, quand la neige fond.
Partie de Leningrad, en quête d'un mari exilé, elle est tombée amoureuse de ce gugusse. Ils viennent chaque jour. Il lui récite ses poèmes, pendant qu'elle le contemple comme si c'était le portrait de Dorian Gray.
Vous avez rédigé un journal mural erroné ? Demain, vous éditerez une revue clandestine. Et après-demain des tracts. Finalement, c'est une conception humanitaire : pour le journal mural, vous avez écopé de trois ans; pour des tracts, il aurait fallu vous fusiller. On vous a sauvé la vie.
Mieux vaut être certes fourmi à Moscou que cigale au pays des forçats. Mais qu'y puis-je ? Pleurnicher ? Je me voyais futur directeur du Plan, au minimum directeur adjoint, n'étant pas membre du Parti. Brave cheval de labour, je ne dérangeais personne et rendais service à tous. Un malentendu a brisé mon avenir. Dans notre milieu de déportés, prenez bonne note que personne ne vous dira la vérité : le coupable se prétend innocent, et l'innocent, pour se faire valoir, racontera qu'il y avait un motif ; moi, vous pouvez me croire. Dans nos bureaux, on avait affiché : En période de reconstruction, la technique décide de tout. Staline. Vous connaissez ce mot d'ordre ? Bon ! Je l'ai cité en présence d'une fille charmante. Elle a cru entendre : "En période de reconstruction de la technique, Staline décide de tout." C'était une personne fort instruite. Indignée par mon ignorance politique, elle a été faire part de son chagrin à qui de droit. Il arrive que la langue me fourche. J'ai pensé que je m'en tirerais avec un bon blâme. On m'a appliqué l'article 58, paragraphe 10 : agitation et propagande contre-révolutionnaires. Par chance qui-de-droit a calculé que trois ans suffiraient pour améliorer mon élocution.
Il ne s'était jamais intéressé à la technique, mais il avait eu envie de travailler en usine. Ce qui l'attirait, c'était le mot "prolétaire" lui-même et le sentiment d'appartenir à la grande classe révolutionnaire. Le prélude de la vie : poétique et inoubliable.