AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Zebra


« La cithare nue » est un roman de Shan Sa. D'origine chinoise, Shan Sa s'était fait remarquer par « La joueuse de Go », livre qui avait obtenu le Goncourt des lycéens en 2001. Édité chez Albin Michel en juin 2010, « La cithare nue », son dernier roman, est une fresque historique de 326 pages, étonnante par son ampleur, sa puissance, son côté fantastique et sa poésie.

Avec « La cithare nue », vous pénétrez dans une Chine des premiers âges, à une époque où l'Occident était aux mains des barbares, une Chine instable, pétrie de guerres, de complots, de croyances, de contes, d'illusions, de légendes et de rêves éphémères et inutiles. Vous voici transporté mille cinq cent ans en arrière. Les dynasties chinoises se succèdent à une vitesse accélérée, semant la mort, ravageant les villes et les campagnes. Mais en toile de fond, il y a une certaine permanence : par-delà cette Chine des esclaves et des maitres, des gueux et des seigneurs, et des guerres qui n'en finissent pas, il y a cette nature inviolée, innocente, pleine de candeur et sans artifices, une nature qui s'offre aux hommes, fragiles, de passage. Quelque soit son âge, sa condition sociale, son origine géographique, l'homme ne peut rester indifférent devant cette beauté du monde, colorée et odorante, devant cette source d'admiration, de repos de l'âme et de réconfort, devant cette beauté qui dégage une telle musique intérieure.

Dans « La cithare nue », Shan Sa nous raconte l'histoire de deux personnages hors du commun. Tout d'abord, une jeune femme, la Jeune Mère, noble, issue d'un clan de la plaine du Milieu mais obligée à dix-sept ans d'épouser un officier roturier qui gravira tous les échelons de la carrière militaire et deviendra Empereur : épouse puis mère de ses enfants, elle se laissera entrainer aux portes de la Cité Interdite et deviendra malgré elle Impératrice de la dynastie Song. Elle vivra dans le luxe mais sa vie sera parsemée de tristesse et de déceptions. Elle sera liée à Shen Feng, notre deuxième personnage, lequel vivra près de deux cents ans plus tard. Luthier orphelin, désargenté mais formidablement doué, Shen Feng a été élevé par un facteur de cithare d'exception ; contraint de rembourser une grosse somme d'argent à son ami Shu Bao, le luthier se met en quête d'un bois exceptionnel afin de créer une cithare dont le son se rapprocherait de celui de la cithare mythique de Cai Yan, la poétesse. Sous les doigts de fée de Shen Feng, le bois précieux dont est fait l'instrument aux sept cordes de soie (c'est en fait un morceau du sarcophage ayant contenu la Jeune Mère) se transforme en musique quasi-irréelle. Inventée par le dieu Fu Xi, instrument fétiche de Confucius, conçu pour reproduire le chant du phénix. la cithare va servir de lien intemporel entre la Jeune Mère et Shen Feng et les initier à la découverte des êtres et de la beauté de la nature, faisant éclore les émotions, les amitiés et l'amour. Dans « La cithare nue », la Jeune Mère est une héroïne à la fois déterminée, forte et fragile : après le décès de son époux, elle se retire au Monastère de la Compassion et devient nonne « Pureté de Vacuité », choisissant le renoncement au monde, la foi bouddhiste et la méditation. C'est dans la cithare, et la musique qu'elle émet, que notre héroïne puisera toute sa vie la force d'affronter l'instabilité, la violence et l'immoralité du monde, et qu'elle trouvera paix et harmonie.

Les batailles sont décrites de main de maitre. le roman commence sans le sang et se termine dans la mort. On apprend plein de choses sur l'histoire de la Chine, une Chine magistralement représentée. L'écriture est raffinée. Les personnages sont attachants, criants de vérité et, curieusement, d'actualité. Évidemment, la musique est le personnage principal de ce livre, découpé en huit chapitres. le dernier chapitre, le neuvième, volontairement très court, se passe au XXIème siècle : c'est la rencontre innocente de deux mondes, l'ancien et le nouveau, avec la musique comme formidable trait d'union. La Jeune Mère et Shen Feng vivaient à cent cinquante ans d'écart mais ce détail n'affecte pas la lecture pour autant. Si le rythme de l'ouvrage est inégal, c'est pour laisser le lecteur reprendre sa respiration. Et si, à la fin du livre, il arrive que la cithare prenne pendant de courts instants forme humaine, c'est pour notre plus grande joie, la musique étant, par cette allégorie, élevée au sublime. Les images sont empreintes de délicatesse. Très picturale, Shan Sa vous invite à découvrir les collines verdoyantes de son pays, les rizières, le Yangzi, fleuve indomptable par endroits et d'une puissance qui défie encore les hommes, la Cour Impériale et ses fastes inouïs, la vie des épouses et des concubines, les couleurs et les odeurs des plats cuisinés devant les échoppes, le bruit des sandales de bois claquant sur les dalles de marbre ou des sapèques jetées sur les tables : un documentaire de première classe doublé d'une superbe histoire d'amour entre la Jeune Mère et ses enfants, entre Shen Feng et son vieux maitre, entre la cithare et les musiciens qui en jouent.

Un ode enivrant, fantastique et magique à la nature, à la musique et à la vie. Une aventure et des destins incroyables. Un chef d'oeuvre. Je mets cinq étoiles.
Commenter  J’apprécie          4210



Ont apprécié cette critique (40)voir plus




{* *}