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Critique de Biblioroz


Dans la chambre de Miss Chase, les rideaux sont tirés afin de laisser dans la pénombre, son corps sans vie reposer sur l'immense lit à baldaquin.
Les obsèques sont reportées d'une journée. Pérégrine Chase, le neveu et unique héritier, est navré de ne pas rejoindre au plus vite sa ville de Wolverhampton où l'attend son travail, pourtant pas très réjouissant, dans une compagnie d'assurances.
Au dehors, par delà les douves de Blackboys, le cri des paons qui peuplent le jardin et le soleil irisant leurs couleurs chatoyantes.
Mais pour l'un des notaires présents, le paon n'est qu'un « gros machin clinquant ». Inutile de s'y attarder et, avec brusquerie, sans détour ni aucune précaution d'usage liée aux circonstances du deuil, il amène immédiatement la discussion sur la succession de ce domaine et ses dépendances dont il veut se débarrasser rapidement. La piteuse gestion de la propriété par la tante trop charitable ne laisse pas trop de choix possibles et seule une vente de l'ensemble peut en effacer les dettes.
Notons ici, le côté un peu facétieux de l'auteure, qui vient égayer cet épisode de succession par l'introduction, aux côtés de ce notaire plutôt détestable, d'un associé reflétant son contraire dont « seul un sort malencontreux pouvait avoir jeté sa nature aimable et conciliante dans les régions mélancoliques de la loi. » Ce dernier enrobe ses paroles de sentimentalisme, semble réellement peiné par l'obligation de vendre un tel patrimoine et verserait presque une larme devant la pénibilité de la lecture du testament !

Une fois seul, délivré de la faconde des notaires, Mr Chase peut se retourner sur son existence plutôt anémique et ses maigres perspectives, et laisser errer son regard sur la façade qui se reflète dans « le calme verdâtre des douves », cette demeure ancestrale renvoyant sa parfaite architecture élisabéthaine si apaisante. La majesté de ce qui s'offre à ses yeux vient subitement bousculer ses certitudes.
Bien que timoré, gêné par la domesticité, se sentant comme un intrus, Pérégrine Chase s'attarde à Blackboys, remplissant les vases de tulipes, savourant la tranquillité d'une promenade dans le parc avec Thane, le lévrier.

Dans ce petit roman, l'élégance des phrases de Vita Sackville-West opère un charme en parfaite adéquation avec ce domaine aristocratique dont le manoir se fond au creux de ce vallon de la campagne anglaise. La profusion de paons parachève l'atmosphère royale dégagée par ces lieux dont la tranquillité, si enveloppante, gagne délicatement le lecteur.
La mise en vente suit son chemin, bien tracée par le notaire avide de mener à bien la liquidation du mobilier et la mise aux enchères des fermes, des terres et du manoir. Son côté mercantile, particulièrement développé et irritant, méprise ouvertement la campagne, les traditions ainsi que ceux qui montrent un attachement à leur lopin de terre.

Vita Sackville-West, lésée de l'héritage familial auquel elle ne pouvait prétendre étant de sexe féminin, a reporté son amour sur un château acquis avec son mari et nous lègue ici un petit joyau littéraire contemplatif, miroir de ses sentiments envers les veilles pierres et les jardins. Elle esquisse un monde ancien qui n'a pas besoin de changer pour être aimé, pleinement. Un coin de campagne, avec ses demeures séculaires, qui ne renvoie pas une image croupissante de sa stagnation mais la force et la plénitude d'une stabilité reposante.
D'une plume exquise, avec un personnage tout à fait insignifiant qu'elle réveille doucement, elle remplit ces quelques pages d'images simples, chaleureuses, apaisantes.
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