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Citations sur Mémoires (16)

C'était un homme [Monsieur le Duc] très considérablement plus petit que les plus petits hommes, qui, sans être gras, était gros de partout, la tête grosse à surprendre, et un visage qui faisait peur; on disait qu'un nain de Madame la Princesse en était cause. Il était d'un jaune livide, l'air presque toujours furieux, mais en tout temps fier, si audacieux, qu'on avait peine à s'accoutumer à lui. Il avait de l'esprit, de la lecture, des restes d'une excellente éducation, de la politesse et des grâces même quand il voulait, mais il le voulait très rarement. Il n'avait ni l'avarice, ni l'injustice, ni la bassesse de ses pères, mais il en avait toute la valeur, et [il avait] montré de l'application et de l'intelligence à la guerre. Il en avait aussi toute la malignité et toutes les adresses pour accroitre son rang par des usurpations fines et plus d'audace et d'emportement qu'eux encore à embler*. Ses mœurs perverses lui parurent une vertu, et d'étranges vengeances qu'il exerça plus d'une fois et dont un particulier se serait bien mal trouvé, un apanage de sa grandeur. Sa férocité était extrême et se montrait en tout. C'était une meule toujours en l'air, qui faisait fuir devant elle, et dont ses amis n'étaient jamais en sureté, tantôt par des insultes extrêmes, tantôt par des plaisanteries cruelles en face, et des chansons qu'il savait faire sur-le-champs, qui emportaient la pièce* et qui ne s’effaçaient jamais; aussi fut-il payé en même monnaie, plus cruellement encore. D'amis il n'en eut point, mais des connaissances plus familières [...] Ces prétendus amis le fuyaient, il courait après eux pour éviter la solitude, et quand il en découvrait quelques repas, il y tombait comme par la cheminé, et leur faisait une sortie de s'être caché de lui. [...] Ce naturel farouche le précipita [...] dans cette sorte d'insolence qui a plus fait détester les tyrans que leur tyrannie même. Les embarras domestiques, les élans continuels de la plus furieuse jalousie, les vifs piquants d'en sentir sans cesse l'inutilité, un contraste sans relâche d'amour et de rage conjugale, le déchirement de l'impuissance dans un homme si fougueux et si démesuré, le désespoir de la crainte du Roi, et de la préférence de M. le prince de Conti sur lui dans le cœur, dans l'esprit, dans les manières de son propre père, la fureur de l'amour et de l’applaudissement universel pour ce même prince tandis qu'il n'éprouvait que le plus grand éloignement du public, et qu'il se sentait le fléau de son intime domestique, la rage du rang de M. le duc d'Orléans et de celui des bâtards, quelque profit qu'il en sût usurper, toutes ces furies le tourmentèrent sans relâche et le rendirent terrible comme ces animaux qui ne semblent nés que pour dévorer et pour faire la guerre au genre humain; ainsi les insultes et les sorties étaient ses délassements, dont son extrême orgueil s'était fait une habitude, et dans laquelle il se complaisait. Mais s'il était redoutable, il était encore plus déchiré. [...] Quiconque aura connu ce prince n'en trouvera pas ici le portrait chargé, et il n'y eut personne qui n'ait regardé sa mort comme le soulagement personnel de tout le monde.

*Voler
*Railler cruellement.
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Arrivé avec tout ce qui était avec moi, à l'audience de la princesse des Asturies, qui était sous un dais, debout, les dames d'un côté, les grands de l'autre, je fis mes trois révérences, puis mon compliment. Je me tus ensuite, mais vainement, car elle ne me répondit pas un seul mot. Après quelques moments de silence, je voulus lui fournir de quoi répondre, et je lui demandai ses ordres pour le Roi, pour l'Infante et pour Madame, M. et Mme la duchesse d'Orléans. Elle me regarda et me lâcha un rot à faire retentir la chambre. Ma surprise fut telle que je demeurai confondu. Un second partit aussi bruyant que le premier. J'en perdis contenance et tout moyen de m'empêcher de rire, et jetant les yeux à droite et à gauche, je les vis tous les mains sur leur bouche, et leur épaules qui allaient; enfin un troisième, plus fort encore que les deux premiers, mit tous les assistants en désarroi et moi en fuite avec tout ce qui m'accompagnait, avec des éclats de rire d'autant plus grands qu'ils forcèrent les barrières que chacun avait tenté d'y mettre. Toute la gravité espagnole fut déconcertée, tout fut dérangé, nulle révérence, chacun pâmant de rire se sauva comme il put, sans que la Princesse en perdit son sérieux, qui ne s'expliqua point avec moi d'autre façon.
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[Le lit de justice du 26 août 1718 permet à Saint-Simon de triompher de son ennemi juré le duc du Maine, bâtard de Louis XIV. Ce dernier est réduit à son rang de pairie et dépouillé des privilèges que lui avait accordé le Roi. C'est le retour au rang défini par la loi et la coutume. Grand jour pour Saint-Simon!]

Moi cependant je me mourais de joie; j'en étais à craindre la défaillance; mon cœur, dilaté à l'excès, ne trouvait plus d'espace à s'étendre. La violence que je me faisais pour ne rien laisser échapper était infinie, et néanmoins ce tourment était délicieux. Je comparais les années et les temps de servitude, les jours funestes où, traîné au Parlement en victime, j'y avais servi de triomphe aux bâtards à plusieurs fois, les degrés divers* par lesquels ils étaient montés à ce comble sur nos têtes, je les comparais, dis-je, à ce jour de justice et de règle, à cette chute épouvantable qui du même coup nous relevait par la force du ressort. Je repassais avec le plus puissant charme ce que j'avais osé annoncer au duc du Maine le jour du scandale du bonnet, sous le despotisme de son père. Mes yeux voyaient enfin l'effet et l'accomplissement de cette menace. Je me devais, je me remerciais de ce que c'était par moi qu'elle s'effectuait. J'en considérais la rayonnante splendeur en présence du Roi et d'une assemblée si auguste. Je triomphais, je me vengeais, je nageais dans ma vengeance; je jouissais du plein accomplissement des désirs les plus véhéments et les plus continus de toute ma vie. J'étais tenté de ne plus me soucier de rien. Toutefois je ne laissais pas d'entendre cette vivifiante lecture, dont tous les mots résonnaient sur mon cœur comme l'archet sur un instrument, et d'examiner en même temps les impressions différentes qu'elle faisait sur chacun.

*Cinquante-sept très exactement d'après Saint-Simon
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[Le lit de justice du 26 août 1718 – proposé par Saint-Simon– rend toute son autorité au Régent sur le Parlement et permet enfin à Saint-Simon, fanatique du rang hiérarchique, de triompher des bâtards de Louis XIV, réduits à leur rang de pairie et dépouillés des privilèges que leur avait accordés le Roi. La scène se passe pendant Conseil de Régence, qui prépare le lit de justice]

Un silence profond succéda à un discours si peu attendu, et qui commença à développer l'énigme de la sortie des bâtards. Il se peignit un brun sombre sur quantité de visages. La colère étincela sur celui des maréchaux de Villars et de Bezons, d'Effiat, même du maréchal d'Estrées. Tallard devint stupide quelques moments, et le maréchal de Villeroi perdit toute contenance. Je ne pus voir celle du maréchal d'Huxelles, que je regrettai beaucoup, ni du duc de Noailles que de biais par-ci par-là. J'avais la mienne à composer, sur qui tout les yeux passaient successivement. J'avais mis sur mon visage une couche de plus de gravité et de modestie. Je gouvernais mes yeux avec lenteur, et ne regardais qu’horizontalement pour le plus haut. Dès que le Régent ouvrit la bouche sur cette affaire, Monsieur le Duc m'avait jeté un regard triomphant, qui pensa démonter tout mon sérieux, qui m'avertit de le redoubler et de ne m'exposer plus à trouver ses yeux sous les miens. Contenu de la sorte, attentif à dévorer l'air de tous, présent à tout et à moi même, immobile, collé sur mon siège, compassé de tout mon corps, pénétré de tout ce que la joie peut imprimer de plus sensible et de plus vif, du trouble le plus charmant, d'une jouissance la plus démesurément et la plus persévéramment souhaitée, je suais d'angoisse de la captivité de mon transport, et cette angoisse même était une volupté que je n'ai jamais ressentie ni devant ni depuis ce beau jour. Que les plaisirs des sens sont inférieurs à ceux de l'esprit, et qu'il est véritable que la proportion des mots est celle-là même des biens qui les finissent!
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[A propos de la mort inattendue de Monseigneur, fils de Louis XIV.]

Il faut avouer que, pour qui est bien au fait de la carte intime d'une cour, les premiers spectacles d’événements rares de cette nature si intéressante à tant de divers égards, sont d'une satisfaction extrême; chaque visage vous rappelle les soins, les intrigues, les sueurs employées à l'avancement des fortunes, à la formation, à la force des cabales, les adresses à se maintenir et à en écarter d'autres, les moyens de toute espèce mis en oeuvre pour cela, les liaisons plus ou moins avancées, les éloignements, les froideurs, les haines, les mauvais offices, les manèges, les avances, les ménagements, les petitesses et les bassesses de chacun, le déconcertement des uns au milieu de leur chemin, au milieu ou au comble de leurs espérances, la stupeur de ceux qui en jouissaient en plein, le poids donné du même coup à leurs contraires et à la cabale opposée, la vertu de ressort qui pousse à cet instant leurs menées et leurs concerts à bien, la satisfaction extrême et inespérée de ceux-là, et j'en étais des plus avant, la rage qu'en conçoivent les autres, leur embarras et leur dépit à le cacher. La promptitude des yeux à voler partout en sondant les âmes à la faveur de ce premier trouble de surprise et de dérangement subit, la combinaison de tout ce qu'on y remarque, l'étonnement de ne pas y trouver ce qu'on avait cru de quelques-uns, faute de cœur ou d'assez d'esprit en eux, et plus en d'autres qu'on n'avait pensé, tout cet amas d'objets vifs et de choses si importantes, forme un plaisir à qui le sait prendre qui, tout peu solide qu'il devient, est un des plus grands dont on puisse jouir dans une cour.
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Le duc de Parme eut à traiter avec M. de Vendôme; il lui envoya l’évêque de Parme, qui se trouva bien surpris d'être reçu par M. de Vendôme sur sa chaise percée, et plus encore de le voir se lever au milieu de la conférence et se torcher le cul devant lui. Il en fut si indigné que, toutefois sans mot dire, il s'en retourna à Parme sans finir ce qui l'avait amené, et déclara à son maître qu'il n'y retournerait de sa vie après ce qui lui était arrivé. Albertoni était fils d'un jardinier [...]. Il était bouffon; il plut à Monsieur de Parme comme un bas valet dont on s'amuse; en s'en amusant il lui trouva de l'esprit, et qu'il pouvait n'être pas incapable d'affaires. Il ne crut pas que la chaise percée de M. de Vendôme demandât un autre envoyé [...]. Il [Albertoni] traita donc avec M. de Vendôme sur sa chaise percée, égaya son affaire par des plaisanteries qui firent d'autant mieux rire le général qu'il l'avait préparé par force louanges et hommages. Vendôme en usa avec lui comme il l'avait fait avec l'évêque, il se torcha le cul devant lui. À cette vue Albertoni s'écrie: O culo di angelo!... et courut le baiser. Rien n'avança plus ses affaires que cette infâme bouffonnerie.
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À la fin, le Roi, lassé du beau et de la foule, se persuada qu'il voulait quelquefois du petit et de la solitude. […] On le pressa de s'arrêter à Luciennes, [..] mais il répondit que cette heureuse situation le ruinerait, et que, comme il voulait un rien, il voulait aussi une situation qui ne lui permît pas de songer à y rien faire. Il trouva derrière Luciennes un vallon étroit, profond, à bord escarpés, inaccessible par ses marécages, sans aucune vue, enfermé de collines de toutes parts, extrêmement à l'étroit, avec un méchant village sur le penchant d'une de ses collines qui s'appelait Marly. Cette clôture sans vue, ni moyen d'en avoir, fit tout son mérite. L'étroit du vallon où on ne se pouvait étendre y ajouta beaucoup. […] L'ermitage fut fait. Ce n'était que pour y coucher trois nuits, du mercredi au samedi deux ou trois fois l'année, avec une douzaine au plus de courtisans en charges les plus indispensables. Peu à peu l'ermitage fut augmenté ; d'accroissement en accroissement, les collines taillées pour faire place et y bâtir, et celle du bout largement emportée pour donner au moins une échappée de vue fort imparfaite. Enfin, en bâtiments, en jardins, en eaux, en aqueducs, en ce qui est si connu et si curieux sous le nom de machine de Marly*, en parcs, en forêt ornée et renfermée, en statuts, en meubles précieux, Marly est devenu ce qu'on le voit encore, tout dépouillé qu'il est depuis la mort du Roi ; en forêts toutes venues et touffues qu'on y a apportées en grands arbres de Compiègne, et de bien plus loin sans cesse, dont plus des trois quarts mouraient et qu'on remplaçaient aussitôt ; en vastes espaces de bois épais et d'allées obscures, subitement changées en immenses pièces d'eau ou on se promenait en gondoles, puis remises en forêts à n'y plus voir le jour dès le moment qu'on les plantait (je parle de ce que j'ai vu en six semaines) ; en bassins changés cent fois ; en cascades de même à figures successives et toutes différentes ; en séjour de carpes ornés de dorures et de peintures les plus exquises, à peine achevées, rechangées et rétablies autrement par les mêmes maîtres, et cela une infinité de fois. Cette prodigieuse machine dont je viens de parler, avec ses immenses aqueducs, ses conduites et ses réservoirs monstrueux, uniquement consacrée à Marly sans plus porter d'eau à Versailles. C'est peu de dire que Versailles tel qu'on l'a vu n'a pas coûté Marly. […] Telle fut la fortune d'un repaire de serpent et de charogne, de crapauds et de grenouilles, uniquement choisi pour n'y pouvoir dépenser. Tel fût le mauvais goût du Roi en toutes choses, et ce plaisir superbe de forcer la nature, que ni la guerre la plus pesante, ni la dévotion ne put émousser.

* Cette machine hydraulique, véritable exploit technique, était destinée à amener l'eau de la Seine aux bassins et aux jeux d'eau.
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Un jour que je vis la reine [d'Espagne] y prendre plusieurs fois du tabac, je dis que c'était une chose extraordinaire de voir un roi d'Espagne qui ne prenait ni tabac ni chocolat. Le roi répondit qu'il était vrai qu'il ne prenait point de tabac [...] Le roi ajouta que pour du chocolat, qu'il en prenait avec la reine les matins, mais que ce n'était que les jours de jeûne. « Comment, Sire? repris-je de vivacité, du chocolat les jours de jeûne? – Mais fort bien, ajouta le roi gravement; le chocolat ne le rompt pas. – Mais, Sire, lui dis-je, c'est prendre quelque chose, et quelque chose qui est fort bon, qui soutient et même qui nourrit. – Et moi je vous assure, répliqua le roi avec émotion et rougissant un peu, qu'il ne rompt pas le jeûne, car les jésuites, qui me l'on dit, en prennent tous les jours de jeûne, à la vérité sans pain ces jours-là, qu'ils y trempent les autres jours. » Je me tus tout court, car je n'étais pas là pour instruire sur le jeûne; mais j'admirai en moi-même la morale des bons Pères et les bonnes instructions qu'ils donnent, l'aveuglement avec lequel ils sont écoutés et crus privativement à qui que ce soit, du petit des observances au grand des maximes de l’Évangile et des connaissances de la religion, dans quelles ténèbres épaisses et tranquilles vivent les rois qu'ils conduisent!
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Le serpent qui tenta Ève, qui renversa Adam par elle, et qui perdit le genre humain, est l'original dont le duc de Noailles est la copie la plus exacte, la plus fidèle, la plus parfaite, autant qu'un homme peut approcher des qualités d'un esprit de ce premier ordre, et du chef de tous les anges précipités du ciel. La plus vaste et la plus insatiable ambition, l'orgueil le plus suprême, l'opinion de soi la plus confiante, et le mépris de tout ce qui n'est point soi, le plus complet. La soif des richesses, la parade de tout savoir, la passion d'entrer dans tout, surtout de tout gouverner; l'envie la plus générale, en même temps la plus attachée aux objets particuliers, et la plus brûlante, la plus poignante; la rapine hardie jusqu'à effrayer, de faire sien tout le bon, l'utile, l'illustrant d'autrui; la jalousie générale, particulière et s'étendant à tout; la passion de dominer tout la plus ardente. Une vie ténébreuse, enfermée, ennemie de la lumière, toute occupée de projets et de recherches de moyens d'arriver à ses fins, tous bons, pour exécrables, pour horribles qu'ils puissent être, pourvu qu'ils le fassent arriver à ce qu'il se propose; une profondeur sans fond: c'est le dedans de M. de Noailles.
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Mais le neveu de Roi fut muni d'un tuteur* sans l'avis duquel il ne pouvait rien faire, et ce tuteur était une linotte qui lui même aurait eu grand besoin d'en avoir un.

* Le maréchal de Marcin, dont les mauvais conseils avaient fait perdre au duc d'Orléans le siège de Turin en 1706; il y périt. «C'était un extrêmement petit homme, grand parleur, plus grand courtisan ou plutôt grand valet, tout occupé à sa fortune sans toutefois être malhonnête homme, dévot à la flamande, plutôt bas et complimenteur à l'excès que poli, cultivant avec un soin qui l'absorbait tous ceux qui pouvaient le servir ou lui nuire, esprit futile, léger, de peu de fonds, de peu de jugement, de peu de capacité, dont tout l'art et le mérite allait à plaire.»
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