Faire de nos pensées, un foyer qui entretient le don.
Comment comprendre les gens ? Leur parler ? Les mots sont difficiles à choisir : une parole peut élever un mur ! Ils vont dans des directions imprévues ; entraînent des réactions qu'on ne veut pas. Ils s'accumulent. Le tas grossit. On ne peut plus le mouvoir. Tous ces mots qui disent l'amour, le mal être, les désirs, les regrets sont capricieux. Avec d'autres personnes, celles en dehors de la famille, c'est un peu mieux. Quoique... Enfin, ça peut engorger une vie.
Se faire confiance, c'est difficile. L'affirmation de soi bascule dans la vanité de projets à court terme. Parfois, cela devient un bardeau pourri. On marche sur quelque chose qui tremble jusque dans le coeur comme s'il n"était pas bien accroché. On essaie de réparer avec des planches mal jointives, des boulons mal serrés.
S"équilibrer dans la chute à venir. Penser à trouver des ailes.
Encore une fois, je pose les yeux et mes mots rabâchés sur les prairies. Les fleurs m'éblouissent. La plupart, je les connais depuis l'enfance. L'églantine m'émeut violemment, jusqu'aux larmes parfois. La gentiane bleue ! Et c'est le visage de ma mère qui revient. Je regarde les calices avec son regard, son sourire encore joyeux. Je sais ce bleu inimitable à cause de la chair même de la fleur. C'est le signe qu'un bonheur existe même si on ne fait que l'effleurer. Il est dans la contemplation. Ce bleu-là surnage, plus tangible que les anneaux d'or échangés avec mon père, un jour de juin. Un bleu qui contient tout, transcende les branches tombées, arrachées, toutes les déceptions, les paroles mal utilisées... Oui, cause toujours !
Ce bleu, c'est le miroir du bleu à l'âme. Je le sais. Elle le savait. Je me garde bien de toucher aux fleurs. On se sourit. Ce bleu-là sauve du malheur pendant quelques instants. D'année en année, on s'est réfugié dans ce bleu. On s'y appuie pour jardiner le bonheur à petites doses.
Ce sont encore les mots qui me retiennent au-dessus de mon propre gouffre.
Tu continues de caresser les pages. C'est un peu de soulagement pour ton esprit.
Peu à peu, la lumière entre dans l'obscurité, s'endort dirait-on. Le silence la berce. On n'allume pas. On la tient contre soi, dans la familiarité des gestes quotidiens. Elle ne se laisse pas recouvrir par les bruits du dehors qui commencent à chuinter dans les ombres glissantes, humides du dimanche de novembre. On voudrait que tout dans ce moment soit comme des mains paisibles. Calme, avenant, recueilli.
Quand reviendrai-je ? Ce lieu occupe en moi un plein espace où je peux rebondir et me lover. Le temps de trier mes petits cailloux.
Se lever. Qu'est-ce qu'on fera de mieux que les oiseaux ? On irait moins loin que nos rêves. On piètera en silence. On répandra des mots sans réelle nécessité.