AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Biblioroz


Sur la route d'une migrante fuyant le Bénin, cette marche éprouvante, terriblement marquante, débute en juin 2012 par un prologue. Un prologue qui assèche, en plein désert du Ténéré au Niger.
Sous l'harmattan soulevant le sable du désert, les corps desséchés d'hommes, de femmes, d'enfants. le sable orangé recouvrant rapidement les cadavres. Un véhicule en panne et des passeurs sans aucun état d'âme qui laissent agoniser ceux qui voulaient atteindre la Lybie. Deux survivants dont un jeune clandestin.
Six mois plus tard, dans le camp de Choucha en Tunisie, ce jeune a prévu de s'appeler Nour Rassool.
Personne ne sait qui est Nour et il faut qu'il en soit ainsi, qu'elle cache sa véritable identité afin de pouvoir passer en Europe. Elle dissimule son corps amaigri, son torse plat et ses hanches trop étroites derrière des vêtements amples. Elle surveille tout, le danger peut jaillir de partout. Nour évite toutes rencontres, toutes paroles, tous regards. L'attitude à adopter pour sa vie « se faire oublier. Disparaitre. » Juste se faufiler puis répondre aux questions de celui qui doit l'orienter vers le camp des hommes ou celui des femmes. Homme ou femme ? Une question difficile pour elle mais elle décide, en accord avec ce qu'elle ressent depuis toujours, de se déclarer femme. On pressent dès lors qu'elle sera victime d'une double peine : calvaire du migrant et peur permanente que l'on découvre qui elle est réellement.
Derrière son allure frêle et sa faiblesse apparente, sa détermination est sans faille : obtenir les papiers de demandeur d'asile, passer coûte que coûte.
Alors lorsque sa demande est rejetée, que lui reste-t-il à faire ? Un passage vers l'Europe n'a pas de prix. Est-elle prête à faire taire toute humanité en elle ?

L'écriture saccadée de Malik Sam avec ses phrases morcelées diffuse et accentue la tension chevillée au corps de Nour ainsi que celle qui gravite autour d'elle. À tel point que, parfois, j'ai dû interrompre ma lecture pour faire descendre cette tension.
Cette route si accidentée, ces routes de migrants, sont montrées dans toute leur laideur, dans toute leur horreur, dans toute leur abomination. À la cupidité et la violence s'ajoutent ici le mépris, le rejet et la haine de la différence.
« le monde des hommes est un univers de violence et de domination. Qu'on ne vienne pas lui parler de la bonté de l'être humain. Quand on t'arrache ta dignité par lambeaux. »
Dans le camp, l'hostilité est omniprésente. À l'extérieur, les passeurs tout-puissants, d'une extrême violence, assoiffés d'argent et de pouvoir font le trafic des réfugiés. Les femmes sont de la marchandise qu'ils n'hésitent pas à violer et à tabasser. Quant aux militaires et aux gardes-côtes, les bakchichs les rendent efficacement conciliants.
Ce rivage tunisien est un théâtre d'horreurs avec ses canots rafistolés, tombeaux en puissance, se délestant parfois tragiquement de leurs passagers.


Comment ne pas souffrir des épreuves subies par Nour ? Elle doit faire face aux regards méfiants des femmes, aux oeillades haineuses des hommes, aux dangers entre réfugiés. Ses gestes, sa démarche, sa voix ne doivent pas la trahir. Maintenir le contrôle, tout le temps. Elle ne peut pas avoir le réconfort d'une amitié, ne pas se lier, même avec Loubna, une Syrienne qui a perdu tous les siens.
« Aucune pitié à attendre. Elles ont connu les prisons des Libyens. Les viols et les tortures. La haine déborde de leurs yeux durs. Lassées des horreurs vues ou supportées, elles veulent venger une soeur, une mère ou une fille violée, battue et torturée par les passeurs ou les hommes des Katibas. »
Toutes les promesses sont mensonges.
Quelques flashs de son passé surgissent, rapides, avant que le lecteur finisse par connaître les grandes lignes malheureuses de son enfance. Elle se revoit blottie contre sa soeur Rhonda, sa grand-mère Nannay contant des histoires de la forêt sacrée à Ouidah, quelques moments heureux vite assombris par ce ressenti de ne pas être née dans le bon corps.

De nombreux romans sur les conditions épouvantables de l'exil politique ou économique existent déjà. Celui-ci se démarque par son héroïne dont la motivation pour quitter son pays est de fuir le rejet et les humiliations. Elle incarne toutes les personnes qui ont un conflit entre leur physique et leur être, qui aspirent à la tolérance de la différence.
Je remercie les éditions Eyrolles ainsi que Babelio pour cette lecture. Pour ceux qui aiment l'objet livre, un petit mot sur la couverture, légèrement texturée, que j'ai trouvé très agréable au toucher.
Commenter  J’apprécie          300



Ont apprécié cette critique (28)voir plus




{* *}