AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de angery


le chaos est peut-être simplement un ordre qui n'a pas encore été déchiffré, c'est en tout cas le dogme que semble soutenir le héros de ce roman escalier. Un homme enseigne l'histoire. Il enseigne comment tous les systèmes répriment l'expression, réduisent les connaissances, uniformisent, rétrécissent tous les apprentissages, pour contrôler les choses, contrôler leurs vies. Car tout se résume à des histoires de contrôle. Quand on veut on peut, même retirer sa cravate, ou voir un film drôle qui ne fera pas rire. Dans la cité univers, il faut bien passer le temps. Sauf qu'en l'espèce, il ne passera plus comme avant pour l'historien Tertuliano Máximo Afonso, car il se voit dans un film. Un acteur lui ressemblant totalement en fait partie. Il est son double parfait. On réalise alors que les choses se recommencent elles-mêmes, d'abord c'est tragique, puis drôle. C'est tellement réaliste cette ressemblance en tout, leurs voix, leurs cicatrices. Ilm faudrait lui téléphoner pour comprendre, car il est enseignant et non délirant. Il se sent menacé dans son intégrité, dans sa singularité. Alors ? Comment est-ce possible ? Un jumeau ? L'ébranlement de toutes les certitudes est en route, qui est qui, dans leurs lits respectifs, dans leurs corps, dans leurs matrices ? Tout leur est commun, hormis un tremblement de mains pour l'un, une marque d'alliance absente pour l'autre. le vide menace, la folie d'une araignée venimeuse dans le plafond des certitudes s'avance. À trop dépendre d'une vision de film, tout le rapport au temps et aux choses en devient incongru, relatif et discuté. L'écriture de José Saramago s'étire comme une course de marathon, foulant la ponctuation à ses mots précis et acerbes, dans une soif serpentine d'enrouler le réel en un mouvement concentrique et asphyxiant, où vient s'y dessiner une concordance factice, accidentelle, qui menace d'éteindre toute forme d'altérité et d'évincer la nature même de la singularité humaine en un clonage subjectif annulant l'idée de destin propre, altérant l'idée même de « moi », pour laisser place à un vertige de confusion impersonnelle, déshonorante, décomposant le particulier pour laisser place au règne d'un monde informe, se mirant en un jeu de reflets qui dépossèdent le regard de sa visée, dissolvent l'incarné, attaquant l'individu, notion finalement jeune, mais ouvrant à contrario le chemin d'une ubiquité fourmillante, simple réserve pour pullulement de signes, détails, fragments, tous interconnectés mais dépourvus de cette continuité que les protagonistes voudraient circonscrire via une logique mathématique, à savoir coordonnée, à hauteur de conscience, alors que de fait, elle s'avère imposée par un flux monstre de correspondances brutales, dessinant l'étrangeté généralisée de monades désincorporées, entaillées par l'incertain. L'état « inanimal » dont il est question ressemble fort à cette sphère infra-humaine qui n'obéit plus aux logiques civilisées, et abolit en crises aiguës les projections et investissements qui assuraient le confort de l'intellectuel ainsi menacé d'une incapacité totale de comprendre. Après tout,  la loi de la gravitation universelle est née de la chute d'une pomme, les contingences les plus primitives engendrent parfois des logiques définitives, et inversement, peuvent les défaire. L'inhumanité de cette ressemblance trop humaine n'est pas le dernier paradoxe du récit. L'objectivité du ton sans cesse démentie par les faits accentue le malaise du lecteur. L'épuisement des ressources logiques et lucides guette le terme de cette découverte filmique, la nuance séparant le vrai du faux est en question tout le long de ce roman haletant comme un essoufflé, non sans être habité d'une permanente ironie quant à l'importance dudit questionnement.
Commenter  J’apprécie          10







{* *}