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Critique de PESKA


Après la lecture de « Échec, et Mat » de Galien SARDE ( Éditions Fables fertiles )

le livre de Galien Sarde, « Échec et Mat », ne se feuillette ni ne se lit en diagonale ; il est prévisible d'ailleurs que le lecteur moyen qui d'aventure tenterait de le découvrir en espérant suivre son bonhomme de chemin ne soit guère payé en retour. Car ce livre dense, qui se cabre continuellement et vous oblige à la relecture se mérite. L'auteur dont on devine au fil des pages le goût pour la langue française classique qu'il ose en des temps où nombre d'entre nous se disposant à lire redoutent l'ennui ne s'interdit aucune complexité, ni syntaxique ni lexicale. Au début, vous vous surprenez à reprendre le paragraphe que vous venez d'achever et puis le pas du cheval se fait plus lourd, la lenteur s'impose ; il faut donc y céder sans barguigner. Il s'agit bien en effet d'une prise de risque mais il faut vite accepter son parti pris et faire crédit à Galien Sarde de ne s'être pas embarqué sans raisons dans l'aventure. Rarement comme ici, une langue vous est offerte comme aide à la composition littéraire. Belle langue, souvent baroque – ‘'vénusté ‘', ‘' alenti ‘' ,‘'fulgurer ‘' – , parfois elliptique qui vous déstabilise au point que pour un peu vous la prendriez pour un parler nouveau savamment ouvragé par un artisan amoureux des mots et de leur agencement. Des images poétiques surgissent comme étincelles des énigmes et avec elles l'incertitude et le malaise, les écorchures à l'esprit. le décor est brossé qui porte l'inquiétude et l'intranquillité ; lentement voilà que la focale s'élargit, que s'accélère la valse des évocations ; maintenant vous croyez comprendre ce qu'il y a de compréhensible à saisir là, dans ce chaos sublime. C'est la question de l'eau que l'on devine centrale dans cette nouvelle société, fragmentée, un monde d'eau, primitif. C'est la vie dont nous aurions grand tort de ne pas nous souvenir qu'aucune décision, aucune invention humaine, ne saurait peser plus qu'elle pour les humains qui n'ont eu foi qu'en le progrès, ce temps linéaire épuisant, progrès auquel nous ne cessons et n'avons depuis des siècles cessé de nous abandonner. S'agirait-il après la traversée du miroir d'eau, de l'espérance en une renaissance dont il serait fortuitement question, comme une apocalypse ?
Et puis, au détour du chemin, cette phrase : «  Mat (l'un des protagonistes ), si inapte à être clair. » Comme une clé qui se camoufle dans le trousseau tintant. Ce pourrait donc être un jeu auquel nous serions conviés ? C'est donc bien la singularité de l'expression qui à la fois donne au récit son atmosphère entre mystère et réalité, et égraine peu à peu les faits qui charpentent l'action à mesure dévoilée. Et d'un point de vue écologiste, la critique philosophique et politique aussi. Ce texte porté par des jeunes gens, s'adresse évidemment à des jeunes gens pour qui la question de l'eau révèle et chaque jour davantage combien la vie même est menacée. Prétendre être clair en ces temps plombé relève de l'arrogance. Quand la réalité de la situation après inventaire éclate et que par centaines ou par milliers les vérités des uns et des autres s'entrechoquent et donnent à voir de quoi peindre en couleurs sombres le désespoir, qu'advient-il de nous ? Qu'adviendra-t-il de nos enfants ? Ne sommes-nous pas dans une période post-effondrement que restructurent compulsivement les nababs sur des schémas totalitaires ?
On comprend ou l'on croit comprendre comment peu à peu s'est organisé ce nouveau monde écrasé de chaleur et ravagé par les guerres. Nul sans doute ne peut y parvenir et ce n'est pas Galien Sarde qui vous y aidera «  Il est vrai que depuis le début, rien n'est probable, que tout semble soumis à une logique qui saute, surréelle, (…). Je laisse couler, rien à comprendre. En un sens tout est clair. » Il faut comprendre soi-même, l'effort exigé étant à la hauteur du bonheur suprême qui serait de soumettre au monde des prophéties de belles factures pour une spiritualité concluante.
À travers les cas particuliers de cinq protagonistes longtemps nous déplorons qu'avant la fin, l'humanité ne soit ‘''mat ‘' ou ne l'est déjà été, mais le sera-t-elle ? Paraphrasons Paul Valéry dans le cimetière marin pour affirmer que le vent s'est levé et qu'il faut tenter de vivre. Alors, l'usage compulsif du haschich auquel filles et garçons se livrent trace-t-il une voie et laquelle ? La découverte de la force du désir précédant celle du plaisir, la puissance du ressentir dominant enfin l'agir, est-elle le truchement vers la résolution ultime ? Vers l'hypothèse d'un monde nouveau. « Eurydice (…) hésitait entre deux mondes – entre celui de l'oracle et celui du réel, devenu immonde – , nous glissa la route à suivre, sans un mot : qu'on courre sans s'occuper d'elle, au plus vite, qu'on prenne la voie la plus simple et la plus directe, tout au bout s'ouvrirait un tunnel pour s'enfuir. Un diversion avant s'offrirait à nos yeux. » Laisse-t-elle entrevoir l'hypothèse d'une issue dont la mort serait une sublime transition? Et ce que j'ai cru être un temps circulaire qui se substituerait au temps linéaire, un retour incessant,‘' un retour … maté ‘', au présent du début du livre l'est-il bien ? Et cette histoire bouclée avec lenteur – où se mêlent rêves et vérités, 4ème dimension et pourquoi pas multivers ? – s'insinue-t-elle inopinément entre‘' la tempe qui saigne ‘' à la page 13 et ‘'l'arcade ouverte ‘' à la page 162 ?
Nous sommes entrés dans un Univers complexe qu' il convient de rendre intelligible ; le livre de Galien Sarde ne se contente pas de nous y inviter, il nous offre outils et bagages pour la longue route, l'éternelle promenade. Nous étions des voyageurs ; nous pourrions être des nomades bienheureux.
Y – a – t'il tout cela dans «  Échec, et Mat » ? Bien sûr et plus encore.

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